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Au bonheur des Amazones !
Jean-Baptiste Malet   En Amazonie - Infiltré dans le ''meilleur des mondes''
Hachette - Pluriel 2015 /  7,50 € - 49.13 ffr. / 192 pages
ISBN : 978-2-8185-0443-7
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Edition augmentée

Première publication en mai 2013 (Fayard)

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Emile Zola décrivait l’arrivée des grands magasins qui ruinaient les petits commerçants dans Au Bonheur des dames. C’était le début de la consommation grande échelle, de l’entreprise managériale dont Jacques Tati, dans Playtime, mesurera d’une façon comique l’inhumanité, avec ces grands immeubles aux baies vitrées. Nous voici dans un autre temps, en pleine révolution économique due à l’informatique et Internet, cette fois-ci à l’échelle mondiale, quelque part entre Les Temps modernes de Chaplin, Metropolis de Fritz Lang et Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Le travail exténuant n’est plus visible, caché… par notre écran d’ordinateur.

Le journaliste Jean-Baptiste Malet, 26 ans, journaliste à Golias, décide un beau jour d’aller rencontrer ces travailleurs de l’ombre de l'entrepôt Amazon à Montélimar. Comme l'entreprise recrute 1200 intérimaires en plus de ses 350 CDI, Jean-Baptiste Malet se fait embaucher et pendant deux mois, travaille dans ces énormes entrepôts de 36000 mètres carrés (les ''stowers'') où sont stockés des milliers de marchandises de tout genre, du livre gauchiste au manga pornographique en passant par les slips et les protège-matelas. Il devient ''pickeur'' tandis que d’autres seront ''packeurs'' (emballeurs). C’est-à-dire qu’il va chercher les produits, parcourant dans ce travail de nuit entre 20 et 25 kilomètres à pied.

Son travail d’investigation se borde à relater ce qu’il a vécu, c’est-à-dire l’infernal dispositif mis en place. Et d’abord, tout un vocabulaire anglais à maîtriser : ''inbound'', ''outbound'', ''damage'', ''bins'', ''slam'', ''leaders''... La vie de la fourmi amazonienne est réglée par des ''process'' qui contrôlent les moindres faits et gestes : vitesse maximum des voitures sur le parking (15 km/h), façon de se garer en marche arrière, tutoiement obligatoire, manipulation des chariots, manière d’empiler les articles (par taille).

Le travail est harassant. Le parcours du ''pickeur'' est optimisé par un logiciel, «véritable flic» informatique qui sait tout de vous : où vous êtes, ce que vous faites en temps réel, le tout contrôlé par des ''leaders'', eux-mêmes sous l’œil vigilant de ''managers''. L’employé finit perclus de douleurs dans le dos, au cou, aux cuisses... Les deux pauses de vingt minutes (une payée par Amazon et l’autre non) se réduisent en réalité à huit minutes sur une chaise, le temps de marcher jusqu’aux salles de repos. Même pendant la pause, la fourmi marche avant de se goinfrer de sucreries pour tenir le coup. Le calcul est simple : ses douze minutes filoutées sur le temps de pause correspondent environ à 200 heures de travail non payées par jour pour mille employés.

L’entreprise d’e-commerce n’est pas transparente. Elle cache son jeu et défend à ses employés de parler de leurs conditions de travail, et même de raconter quoi que ce soit (contrevenant ainsi au droit du travail français dans leur annexe 7). Il est évident qu'un livre pareil n’est pas favorable à Amazon, ce qui étonne de la part d'un éditeur important. À l'heure où les librairies tombent comme des mouches, il y a de quoi être inquiet vis-à-vis de ces ''pieuvres'' planétaires qui emploient des travailleurs saisonniers, fragmentant de plus en plus le travail, en en faisant perdre à beaucoup à d’autres. Une vie réduite à sa feuille de paye...

Écrit simplement, à la façon d'un documentaire littéraire, le livre met donc à nu l'exploitation de milliers de personnes, obligées de se soumettre faute de mieux. Vu l'essor actuel des emplois vacataires, avec très peu de CDI à la clef, Amazon prospère (en 2012, le chiffre d’affaire a progressé de 27%, s’élevant à 61,09 milliards de dollars), et en payant peu d’impôts en France (en pratiquant l’optimisation fiscale). Les politiques ne disent rien ou applaudissent (comme Arnaud Montebourg ou Xavier Bertrand), de peur que la courbe du chômage ne se redresse davantage. L’Etat laisse faire. La société tolère bon gré mal gré. Le journaliste cite d’ailleurs l’économiste Joseph Schumpeter qui a théorisé la disparition d’emplois liée à la création d’activités nouvelles (phénomène appelé «destruction créatrice»).

Et tout ceci est d'autant plus efficace que le client, d'un clic de souris, n'a pas à bouger pour acheter ses articles, restant derrière son écran d’ordinateur. C'est la version totalitaire de l'empire libéralo-stakhanoviste dans lequel l'entreprise prospère avec la collaboration induite de millions de consommateurs, le tout enrobé d’une devise : «Work hard, Have fun, Make history» («Travaille dur, amuse-toi, écris l'histoire»), une sorte de camp de concentration ''new look'' ; on songe à ce que dirait le philosophe Heidegger de ce processus de pensée calculante. Un système si efficace que le livre est vendu chez Amazon ! Ce processus effrayant semble bien ne pas pouvoir être enrayé. Le rôle d'Internet est problématique dans cette dérégulation du travail, syndrome d'un monde qui change radicalement.

On aimerait voir la tête de notre ''pickeur'' prenant ce livre dans les hangars d’Amazon…


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 07/04/2015 )
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