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Oeil pour oeil, dent pour dent | | | Eric Naulleau Pierre Jourde Petit déjeuner chez Tyrannie - suivi de Le Crétinisme alpin Le Livre de Poche 2004 / 5.00 € - 32.75 ffr. / 190 pages ISBN : 2-253-10969-X FORMAT : 11 x 18 cm Imprimer
En 2002, le pamphlet de lessayiste Pierre Jourde, La Littérature sans estomac, publié chez LEsprit des péninsules maison créée par Éric Naulleau, qui co-anime entre autres depuis plusieurs années les Rencontres européennes de Sarajevo faisait leffet dune petite bombe dans les milieux littéraires. Jourde y fustigeait, avec un humour corrosif, certains auteurs à succès, loués unanimement par la presse, réclamés à cor et à cris par les médias, et présentés au public comme la quintessence de la littérature et de la pensée contemporaines.
Dans la ligne de mire de Jourde : Philippe Sollers, Christine Angot, Frédéric Beigbeder, Marie Darrieussecq, Camille Laurens, Mazarine Pingeot, dont il déplore avant tout, et avec une certaine férocité, labsence de réel talent décrivain et/ou lomniprésence médiatique. En filigrane, lauteur attaquait également les organes médiatiques et éditoriaux dits «incontournables» (Le Monde des livres, les grandes maisons déditions, les médias influents
) daccorder une importance disproportionnée à ces écrivains, dans un système de renvois dascenseur et dhabiles passe-droits relationnels, figeant ainsi le monde littéraire dans une pensée unique policée. Immédiatement, les réactions des principaux concernés Philippe Sollers, Josyane Savigneau, rédactrice en chef du Monde des livres et de leurs amis impliqués par le jeu des alliances Pierre-Louis Rozynès, alors rédacteur en chef de Livre Hebdo et ex-compagnon de Christine Angot, Yann Moix, journaliste et auteur du best-seller Podium, et dautres montent au créneau et attaquent Jourde avec une rare virulence. Ce dernier ne serait quun aigri, dont les ouvrages ne se vendent pas et qui jalouserait les chiffres de vente des auteurs quil critique, un polémiste creux, un imposteur diffamant
Ces attaques dont Jourde et par-là même son éditeur Éric Naulleau ont été lobjet sont tout à fait déplacées. Si louvrage de Pierre Jourde était réellement fondé sur une jalousie quant à des chiffres de ventes, lauteur aurait mieux fait dattaquer des gens comme Amélie Nothomb, Marc Lévy, Christian Jacq ou Paulo Coehlo, qui vendent plus que les auteurs susnommés. Non, ce qui a véritablement énervé la nomenklatura germanopratine, cest que Jourde sattaquait à ses principaux acteurs, ou à ses protégés. Tout le petit monde que Jourde mentionne dîne ensemble en ville, se consacre des chroniques élogieuses dans différents journaux ou magazines, se retrouve chez Guillaume Durand (pour le fond) et Thierry Ardisson (pour la forme) et sauto-congratule dans une surenchère de superlatifs dont toute critique est absente. De plus, Jourde sattaque avant tout à la pauvreté décriture de cette littérature marchande, jet-settisée et nombriliste. Ce qui ne lempêche pas de clamer son admiration pour des auteurs comme Valère Novarina, Richard Millet, Jean Echenoz, Michel Houellbecq ou Catherine Millet lesquels ne sont pas vraiment des inconnus !
Devant ces attaques, Éric Naulleau et Pierre Jourde ont choisi de répondre par la publication de deux courts textes : Petit déjeuner chez Tyrannie et Le Crétinisme alpin. Dans le premier, Éric Naulleau fait un compte-rendu détaillé dun édifiant rendez-vous quil a eu, à sa demande, avec Josyane Savigneau et deux de ses acolytes, les journalistes Jean-Luc Doin et Patrick Kéchichian. Naulleau, éditeur de La Littérature sans estomac, souhaitait sexpliquer au sujet de la «cabbale» dont avait été victime Jourde, cabbale sur laquelle il revient longuement, en livrant au lecteur les pressions que Jourde a subies. La rédactrice en chef du Monde des livres ne sort pas vraiment grandie de lentretien, qui vire presque au pugilat et doù il ressort que Jourde nest quun «pédé» aigri et misogyne (sic). Le second texte consiste en un long droit de réponse de Jourde à ses détracteurs. Lauteur démonte point par point les critiques qui lui ont été adressées et fait brillamment ressortir que cette levée de boucliers nétait au final que du chiqué et quon ne lattaquait pas pour les bonnes raisons.
Si le cynisme et lhumour sont partout présents sous la plume caustique des deux compères, et si la caste germanopratine est dûment ridiculisée, apparaissant frileuse et rivée à ses privilèges, un certain ennui gagne cependant le lecteur lambda, pour qui les alliances éditoriales et journalistiques restent des concepts lointains. Tout dabord, Savigneau apparaît comme une sorte de matrone omnipotente entièrement responsable de la pensée unique dominante. Certes, la dame na pas lair commode, mais est-il besoin de la stigmatiser ainsi ? À la fin de louvrage, on aurait presque envie de la prendre en pitié ! Ensuite, sont uniquement visées par Jourde et Naulleau les personnes qui leur ont mis des bâtons dans les roues, si bien que le pamphlet vire au règlement de comptes agressif, avec comptes-rendus de conversations privées, copies de courriers, etc. Il ressort au final une impression de «il pour il / dent pour dent» assez agaçante. En fonçant tête baissée dans le conflit, en répondant aux persifleurs par la moquerie méprisante, Éric Naulleau et Pierre Jourde, quon comprend agacés par ce monde littéraire clientéliste, marchandisé et médiatisé, semblent néanmoins oublier lessentiel : il faut laisser le triomphe aux médiocres et aux imposteurs, le temps finit par les démasquer.
Caroline Bee ( Mis en ligne le 17/11/2004 ) Imprimer | | |
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