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De la merde de taureau et de ses usages | | | Harry G. Frankfurt De l'art de dire des conneries - (On Bullshit) 10/18 - Fait et Cause 2006 / 8.50 € - 55.68 ffr. / 77 pages ISBN : 2-264-04332-6 FORMAT : 11,5cm x 18,5cm
Traduction de Didier Sénécal. Imprimer
De lart de dire des conneries est un gift book. Vous savez, ces petits livres que, dans les dîners bobos, lon soffre à la place des fleurs (parce les fleurs, cest périssââââble
), et quon laisse parfois traîner aux toilettes (on ne défèque pas idiot, chez ces gens-là !). Packaging travaillé pour un livre dune cinquantaine de pages, au titre accrocheur, cherchant à jouer dans le double registre du culturel et de lamusant, le gift book tient du phénomène éditorial et envahit les comptoirs des librairies (car on ne saurait tout à fait le mêler à la «vraie» littérature). Le modèle en la matière restant le petit essai dHenry Miller, Lire aux cabinets, couverture dun rose PQ bien choisi, aux éditions Allia.
De lart de dire des conneries, On Bullshit dans le texte, est ainsi un court essai, 73 pages (et encore léditeur a joué avec les marges, les polices et la taille des pages !), dans un bel emballage (couverture en dur, rabats colorés) sur un sujet trivial : les conneries. Lauteur présente son texte comme une communication faite à Yale, devant un aréopage de philosophes émérites (oh quil est drôle, ce Harry !). Construit, argumenté, illustré, mobilisant bibliographie, citations, références scientifiques et appareil critique de notes, le texte a la rigueur méthodologique du papier universitaire (et pourra même être réutilisé par un enseignant facétieux dans un cours de méthodologie de la dissertation !). Le ressort du comique repose donc sur le contraste entre le sérieux de la forme, sans concession ni ironie (au prix de quelque ennui sans doute pour qui nest pas rompu à cette prose) et la trivialité du sujet : le baratin, les conneries, deux mots en français pour traduire bullshit.
Il est certain dailleurs que la traduction française fait perdre du piquant à louvrage : au lieu dune litanie de «bullshit» qui, comique de répétition aidant, doit finir par franchement amuser, le français oppose la multiplicité de ses termes (et partant, leur moindre effet comique: car lire 20 fois «baratin» amuse moins quautant de «merde de taureau», la traduction littérale).
Voici donc un essai philosophique (cest un grand mot) sur le contenu du baratin et sur les usages sociaux du déconnage (le tout survolé !). On pourra ensuite imaginer moult second, troisième, énième degrés et autres effets vache-qui-rit qui donneraient du piquant à louvrage (exemple : lauteur a parfaitement conscience de baratiner et son analyse doit sappliquer à son texte, quil aurait même construit pour lillustrer !). Cest vite lu, amusant par moments, vite oublié. Mais au final, le risque est quon ferme louvrage en marmonnant : «bullshit»...
Mathilde Larrère ( Mis en ligne le 13/09/2006 ) Imprimer | | |
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