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Pathologie du discours ou fatalité de la vie politique ?
Christian Delporte   Une histoire de la langue de bois
Flammarion - Champs 2011 /  9 € - 58.95 ffr. / 382 pages
ISBN : 978-2-08-124955-4
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en octobre 2009 (Flammarion)

L'auteur du compte rendu : Antoine Picardat est agrégé d’histoire et diplômé en études stratégiques. Il a enseigné en lycée, en université, aux IEP de Paris et de Lille, et été analyste de politique internationale au ministère de la défense. Il est actuellement élève-administrateur territorial à l’Institut national des Études territoriales à Strasbourg.

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Nombreux sont ceux qui font aujourd’hui ce constat : la langue de bois est un fléau, qui pollue le discours public et noie la vérité et le débat sous des flots de banalités, de formules creuses, d’affirmations non démontrées et autres esquives plus ou moins habilles. Et lorsqu’un homme politique intitule un livre d’autopromotion Promis, j’arrête la langue de bois (Jean-François Coppé en l’occurrence, Hachette, 2006), non seulement il reconnaît qu’il l’a pratique assidument, mais, en plus, pas grand monde ne le croit.

Professeur à l’université de Versailles-Saint-Quentin, spécialiste des médias et de la communication politique, Christian Delporte se penche ici sur cette langue de bois, qui n’est ni récente, ni spécifiquement française.

Mais au fait, qu’appelle-t-on «langue de bois» ? Christian Delporte la définit comme «un ensemble de procédés qui, par les artifices déployés, visent à dissimuler la pensée de celui qui y recourt pour mieux influencer et contrôler celle des autres». Concrètement, cela se traduit par des banalités, des formules toutes faites, des imprécisions ou autres affirmations gratuites.

L’expression apparaît timidement en français dans les années 1950. Elle désigne le discours stéréotypé, masquant la réalité des faits, des régimes communistes. En 1981, elle fait son entrée dans le dictionnaire. Pourquoi cette référence au bois ? Difficile à dire. Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle a des équivalents dans beaucoup de langues : «langue de béton» en allemand, «langue de plomb» en chinois, ou encore «double discours» (double talk) en anglais. C’est bien le signe que le phénomène est à peu près universel, même si ce constat n’est pas vraiment une consolation.

Sans doute pourrait-on retrouver des exemples de langue de bois dans l’Antiquité grecque et romaine, ou dans le parlementarisme anglais du XVIIIe siècle, mais Christian Delporte fait remonter son histoire à la Révolution française. La langue de bois semble donc naître avec le débat politique lui-même. On la retrouve ensuite à toutes les époques et sous tous les climats : Russie léniniste, Allemagne nazie, URSS brejnévienne et démocraties populaires d’Europe, dictatures africaines (le Zaïre de Mobutu) et arabes (la Tunisie de Ben Ali). L’auteur multiplie les exemples des nombreuses nuances de la langue de bois. Mais il sait également dégager ses caractères universels, ceux qui permettent de parler pour ne rien dire ou pour ne dire que ce que l’idéologie officielle autorise. Cette universalité est illustrée par deux documents élaborés, l’un en Pologne dans les années 1970, l’autre en Tunisie vingt ans plus tard, par des opposants à ces régimes. Pour dénoncer la langue de bois officielle, ils ont construit un tableau dans lequel chaque case propose un morceau de phrase tout fait. En combinant les différentes cases, on peut construire des discours interminables, grammaticalement corrects, bourrés des lieux communs de chacun des régimes et totalement creux ! Avec un minimum d’effort, le lecteur facétieux peut adapter cet outil à bien des situations de la vie quotidienne, professionnelle ou autre…

Malheureusement, la démocratie française n’échappe pas à la langue de bois. Droite et gauche, opposition et majorité sont renvoyées dos à dos : tout le monde en use et en abuse, le plus souvent avec la complicité plus ou moins volontaire de journalistes trop complaisants, qui tolèrent les banalités et reprennent eux-mêmes des formules creuses ou orientées, directement tirées de la langue de bois du moment.

La langue de bois actuelle, la sarkolangue, est celle des «éléments de langage» concoctés par les conseillers en communication et que les ministres au garde-à-vous répètent dans tous les médias à chaque crise. C’est aussi celle du langage décontracté, de la syntaxe relâchée et maltraitée en public jour après jour, pour faire «peuple» et donner l’impression de «parler vrai».

L’inventaire de Christian Delporte est donc très complet et éclairant. Mais il est parfois un peu large et semble presque manquer de rigueur. Pour l’auteur, tout propos qui ne se limite pas à des faits bruts, à une expression spontanée des sentiments, à la vérité (pour autant qu’elle se laisse facilement cerner), relève de la langue de bois. Si un discours veut faire passer un message : c’est de la langue de bois ! Même chose pour un discours simplement mauvais, qui multiplie les formules creuses et dans lequel l’auteur parle pour ne rien dire du tout.

Ainsi, le discours de la IIIe République qui, sous la direction savante d’Ernest Lavisse, construit une culture patriotique à travers l’enseignement de l’histoire de France : langue de bois ! La propagande raciste du régime nazi : langue de bois ! Les appels au meurtre de Tutsis, relayés par la propagande hutue et la Radio des mille collines pendant le génocide rwandais de 1994 : langue de bois ! La calomnie, l’insinuation : langue de bois !

Non ! Tous ces discours ont un contenu, si détestable puisse-t-il être et ils ne visent pas à endormir l’interlocuteur. Ou alors, tout est langue de bois ou presque. Cette difficulté à tracer une limite entre langue de bois et discours est révélatrice, mais elle constitue aussi un des intérêts de cet ouvrage : le discours politique est difficile, mais bien employé, il peut constituer une arme redoutable, soit pour aveugler, soit pour entraîner.

Une histoire de la langue de bois est un ouvrage intéressant, souvent drôle et qui offre matière à réflexion. En conclusion, l’auteur est fataliste et pessimiste. La langue de bois est inhérente à la vie politique et au débat d’idées. Elle est de plus en plus répandue parce qu’à l’heure des médias de masse et des «buzz» internet, tout propos maladroit ou trop franc peut revenir immédiatement dans la figure de son auteur, avec des effets ravageurs. Par prudence et par calcul, les responsables politiques préfèrent donc la sécurité de la langue de bois, plutôt que de s’exposer à la colère d’une opinion publique qui guette le moindre faux pas et qui, au fond, n’aime peut-être pas beaucoup la vérité et les opinions tranchées. Or, pour que la langue de bois recule, il faut que tous, responsables politiques, médias et opinion, le veuillent ; qu’ils acceptent notamment que la quantité cède la place à la qualité.


Antoine Picardat
( Mis en ligne le 08/03/2011 )
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