| Thomas Campi Vincent Zabus Pascale Bourgaux Les larmes du seigneur afghan Dupuis - Aire Libre 2014 / 16.50 € - 108.08 ffr. / 80 pages ISBN : 9782800158464 FORMAT : 29x32 cm Imprimer
Personne na oublié Le Photographe, la bande dessinée de Lefèvre, Guibert et Lemercier, chef-duvre mêlant bande dessinée, photographie et récit autour dun Afghanistan loin des clichés et près des hommes. Dans un registre analogue, quoique avec plus de sobriété, on se souviendra avec le même plaisir de ces Larmes du seigneur afghan : même attention portée au quotidien, même impression de lire la petite histoire, celle des humbles, dans les plis de la grande, même regard attendri (mais aussi désabusé) pour un territoire et un peuple que la guerre a façonné, à la fois cimetière des empires et cimetière des illusions occidentales.
Pascale Bourgaux est grand reporter à la RTBF : de 2001 à 2011, elle a entre autres suivi le parcours de Mamour Hasan, un chef de guerre afghan installé au Nord du pays. En 2011, elle retourne au village de Dasht-e-Qaleh, fief de Hasan, pour prendre le pouls du pays. Un voyage complexe, contrasté, dans un contexte stressant. Car la situation évolue vite : des attentats à Kaboul, des routes incertaines, en mauvais état, où les Talibans ne sont pas la seule menace, tant les troupes de la coalition peuvent parfois se révéler également dangereuses, un inframonde de « fixeurs », de gardes privés plus ou moins efficaces, dhumanitaires, dinformateurs, despions, de traîtres et de victimes. Comme le résume un occidental : « cest le bordel ! » Toutefois, la reporter et son cameraman parviennent au village, pour découvrir une région transformée, où lhypothèque Talibans devient de plus en plus réaliste : si Mamour Hasan demeure fidèle à ses convictions, son entourage, progressivement, par dépit, par lassitude, par peur ou par ambition, bascule dans le camp des talibans. Face à une coalition qui accumule les maladresses, les Afghans se retrouvent de nouveau confrontés à un dilemme absurde, entre le radicalisme des uns et limpuissance des autres. Avec un regard à la fois sympathique et journalistique, Pascale Bourgaux analyse le quotidien et son évolution, scrute les hommes et les curs
non sans maladresses (qui peuvent se payer cher pour une occidentale). Le tableau de famille aux opinions variées, mais plus encore, le silence des femmes et leur acceptation lente dun futur sous la coupe des islamistes, résume, en quelques scènes, lactualité du pays.
Le récit est efficace, monté comme un reportage (chaque vignette, encadrée de noir, fait dailleurs un peu penser à un écran). Pascale Bourgaux et Vincent Zabus nont pas voulu donner au récit un cours uni : il sagit dune succession de moments, de discussions, de réflexions, dimages glanées avec quelques instants de grâce comme ce soldat qui danse dans la montagne et beaucoup de tensions. Thomas Campi, au dessin, a parfaitement senti lhistoire et sa singularité, sintéressant tant au décor et aux couleurs, quaux visages et aux pensées des uns et des autres. Les plans, larges ou serrés, rappellent le travail du cameraman, le dessinateur se fait, à son tour, metteur en scène. Lensemble donne un album-reportage passionnant, qui semble, au regard dun lecteur occidental, à la fois sobre et réaliste, sans pathos et sans sensationnalisme : un regard embarqué en Afghanistan et une réflexion sur léchec de la politique occidentale en Afghanistan. Un album qui passionnera tout amateur dactualité et de reportages dessinés. Magistral.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 02/06/2014 ) Imprimer
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