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Bande dessinée -> Historique |
| David Chauvel Erwan Le Saëc Scarlett Ce qui est à nous (2è ép., tome 2) - Huguenot Beach Delcourt - Sang froid 2003 / 12.50 € - 81.88 ffr. / 48 pages ISBN : 2-84789-202-8 FORMAT : 24 x 32 cm
Nouvelle édition. Tomes disponibles :
Première époque (1909-1919) : 5 tomes parus, dont 3 dans la nouvelle édition.
Seconde époque (1928-1931): 3 tomes parus dans la nouvelle édition, 2 derniers tomes à paraître.
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Cosa Nostra. Notre chose. Ce qui est à nous
La Mafia semble être passée, depuis les années 1970 particulièrement, du statut de sujet à celui dobjet. Cosa Nostra est ainsi devenue notre chose à tous. Dinnombrables films, livres et bandes dessinées lont mise en scène, avec quelquefois des réussites remarquables, qui ont sublimé par lart ce que ce monde de voyous et de criminels pouvait avoir dignoble, pour atteindre bien souvent à de profondes réflexions sur la condition humaine.
Il était inévitable, dans ce contexte, que la Mafia suscitât lintérêt des historiens. Lentre-deux-guerres américain, entre autres, celui du temps de la prohibition et de la guerre des gangs, a fait lobjet de nombreuses publications. Les grands chefs mafieux, Al Capone en tête, ont été les héros de nombreuses biographies. Pourquoi la bande dessinée serait-elle passée à côté du mouvement ?
David Chauvel, scénariste, et Erwan Le Saëc, dessinateur, ont donc entrepris de raconter la véritable histoire de la mafia italo-américaine de lentre-deux-guerres, dans la collection Sang-froid des éditions Delcourt. La seconde époque de cette saga couvre les années 1928-1931. Ce second tome, «Huguenot Beach», doit son nom à la plage où fut retrouvé «Lucky» Luciano inanimé, après son passage à tabac, au matin du 19 octobre 1929.
Loriginalité de cette série tient avant tout aux notes qui suivent le récit lui-même et qui, page par page, explicitent les sources doù sont tirées les événements rapportés (ici, il sagit principalement de la biographie de Luciano par Martin A. Gosh et Richard Hammer). Les auteurs entendent se situer au plus près de lhistoire telle quelle sest vraiment déroulée. De multiples citations authentiques (cest-à-dire authentifiées par les biographes des grands mafieux) émaillent ainsi les dialogues signés par David Chauvel. Du coup, le projet de Chauvel et Le Saëc se rapproche de celui qui avait commandé lancienne Histoire de France en bande dessinée. Ici, léruptif Al Capone remplace Napoléon Bonaparte, le tenace Lucky Luciano simpose à la place de Louis XI. Le rapprochement est encore accentué par le dessin dErwan Le Saëc, réaliste et extrêmement classique. Du coup, et malgré les effets de mise en scène et les dialogues inventés par David Chauvel, lensemble est peut-être un peu «sec».
Et quelque chose gêne. Par leur volonté même décrire lhistoire vraie de la mafia, les auteurs se privent de cette sublimation par lart qui était celle, parmi tant dexemples fameux, du Parrain de Francis Ford Coppola. Or lhistoire seule de la mafia mérite-t-elle dêtre ainsi héroïsée ? On rétorquera que lhistoire na pas à sembarrasser de considérations morales, et on aura raison. Mais le récit historique est nécessairement constitué de faits choisis, sélectionnés parmi des millions dautres. On doit donc sétonner que dans cette histoire des héros du crime organisé, aucun meurtre napparaisse ici. Le seul élément violent est au contraire le tabassage dun des principaux meurtriers de ce temps, Lucky Luciano ! Les notes elles-mêmes, censées assurer le sérieux du récit, ne sont pas exemptes dambiguïtés. On y lit par exemple quil est improbable que des hommes tels que Lucky Luciano aient pu être opiomanes, dans la mesure où ils étaient d«infatigables chefs dentreprises», et que les bruits qui laffirment viennent de John Cusak, «un homme qui a passé sa vie à les combattre» et devait donc souhaiter «ternir limage de ses adversaires». Alors, on sinterroge : limage de criminels brutaux tel que Lucky Luciano pouvait-elle être encore ternie ?
De même, les agents du Narcotics Bureau passèrent un jour un marché avec Luciano arrêté en possession dhéroïne. Soit, mais pourquoi les auteurs précisent-ils en note que ces agents étaient pourtant «réputés incorruptibles» ? Cela signifie-t-il quon doive mettre en doute leur appartenance au camp de la justice ? et donc lappartenance des mafieux au camp contraire ?
Enfin, on ne peut quêtre surpris par la mise en scène de ce dialogue surréaliste entre Johnny Torrio et Al Capone à propos de lItalie (doù Torrio avait certes été expulsé) :
«Le pays pue, mon vieux. Tas entendu parler de Mussolini ?!
Vaguement.
Eh bien je peux te dire quil faudra que ce type-là ait dégagé avant que toi ou moi ou nimporte qui puisse retourner là-bas
A ce point-là ?!»
A laisser croire quon naurait le choix quentre une Mafia éthérée et le fascisme mussolinien, au cur dun ouvrage présentant les mafieux comme on présentait autrefois les rois de France, les auteurs délivrent un message peut-être un peu trop ambigu. On peut sen sentir gêné. Reste une histoire sans doute digne dêtre racontée. Restent aussi, considération plus purement esthétique, les décors du New-York de la fin des années 1920, quon ne se lasse pas de voir représentés.
Sylvain Venayre ( Mis en ligne le 14/12/2003 ) Imprimer | | |
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