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Bande dessinée  ->  Historique  
 

Le siècle vu d'auteur
 Yslaire   XXe Ciel.com (vol. 3) - Mémoires <19>00 et Mémoires <20>00
Les Humanoïdes associés 2004 /  13.90 € - 91.05 ffr. / 80 pages
FORMAT : 24 x 32 cm

Mémoires <19>00
24 x 32 cm - 80 pages - couleur - 13,90 euros - ISBN : 2 7316 1554 0

Mémoires <20>00
24 x 32 cm - 64 pages - couleur - 13.90 Euros - ISBN : 2 7316 1459 5

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Le 11 septembre 2001 aura été, pour nombre d’auteurs de BD, un choc et une inspiration : on pense à Art Spiegelman en particulier, dont la production, certes rare, s’est récemment inspirée de l’événement et de son instrumentalisation politique. Tout en se plaçant dans ce même courant d’inspiration, Yslaire ne cherche pas à tirer une leçon, ou édifier son public, mais juste à donner une lecture du siècle qui s’achève avec l’écroulement des tours – ou plutôt deux lectures, correspondant aux deux albums liés, Mémoires <19>00 et Mémoires <20>00 – selon qu’on le perçoit comme le siècle du progrès (symbolisé par l’aviation comme par la liberté en général) ou celui du désenchantement (vis-à-vis de la science, des idéologies, voire de l’avenir en général).

L’opposition est connue, c’est celle du processus de civilisation de Norbert Elias et de la « brutalization » de Georges L. Mosse. A travers divers itinéraires croisés autour de deux personnages-clefs, Eva et Frank Stern, Yslaire livre sa vision du siècle passé, vision nuancée, double : un siècle qui aura vu le pire (la mécanique génocidaire entrée en scène dès 1915…) mais qui n’a pas laissé l’espoir disparaître même dans la pire des nuits totalitaire et qui aura, un peu, libéré l’homme, physiquement (l’avion) et intellectuellement.

Au cœur de ces deux récits (comme pour les deux albums précédents), il y a la vie d’une femme, Eva Stern, rescapée des camps de la mort, de son frère, Frank Stern, photographe inspiré et beatnik avant l’heure, et de son neveu, Frank Stern (junior), photographe tout autant inspiré. Trois anges égarés dans un siècle sauvage, et qui se retrouvent autour d’une volonté de transformer la société et de la pacifier via l’image, et via un journal précurseur, XXe ciel… Dénonçant, par des photomontages, les horreurs du siècle (on songe à l’œuvre réelle de John Heartfield dans l’Allemagne de Weimar…), ils sont escortés sur ce chemin par de nombreux sympathisants, connus (Kerouac, Ginsberg...) ou inconnus (dont le mystérieux Werner Ysler, mise en scène du narrateur ?). De la Grande Guerre au Vietnam et de l’horreur nazie aux crimes terroristes, les anges, témoins muets, assistent aux efforts de la liberté, des plus lucides (tel ce journaliste belge espionnant les nazis) aux plus délirants (greffer des ailes à un cosmonaute dans un happening interplanétaire).

Avec la série XXeCiel, Yslaire présente un véritable travail d’auteur, où l’élan artistique l’emporte sur d’autres considérations. L’ensemble est fortement marqué par l’histoire, l’actualité, et se veut une retranscription personnelle d’un siècle scandé par les violences politiques et les idéalismes destructeurs. De la Première Guerre mondiale au 11 septembre 2001, Yslaire montre le contraste – comme un fil rouge – entre la beauté du désir millénaire de voler, et l’horreur d’une technologie subvertie par la guerre, l’idéologie et le terrorisme. L’avion, qu’il survole un champ de bataille de l’Isonzo en 1917 ou qu’il s’encastre dans une tour, incarne le siècle et ses attentes comme ses déceptions. Et l’œil de l’auteur – apparenté à celui du photographe – hésite constamment entre la réalité et les impressions, donnant corps aux projets de Frank Stern. Les deux albums se présentent en effet comme une enquête sur des photos et des inconnus, via Internet, et comme une succession de photos (dessinées). Le procédé est séduisant.

Le graphisme est étonnant, parfois déconcertant, alternant diverses techniques, divers supports, divers états : de l’esquisse à peine ébauchée au dessin soigné, du pinceau au clavier, de l’original à la photocopie travaillée, du crayonné au suggéré, du réalisme cru à l’impressionnisme allusif. L’artiste y revendique une certaine liberté sur laquelle on peut certes discuter (un dessin, un album sont –il des produits finis, ou bien un espace de création propre ?), mais qui s’avère au final très convaincante. La lecture s’achève sur le sentiment d’un projet à la fois mûrement pensé et réellement original. Du reste, et au risque de pousser à la dépense, il semble nécessaire d’acheter les deux volumes qui forment un tout en soi, pour une vision complexe, didactique, du siècle passé ainsi que d’un ensemble d’intrigues entremêlées. L’ouvrage est donc beau, indiscutablement, mais s’éloigne des schémas de narration traditionnels. Il faut donc savoir se laisser porter par les visions d’Yslaire, pour un ciel qui s’achève en beauté.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 15/01/2005 )
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