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Bande dessinée -> Historique |
| Miné Okubo Citoyenne 13660 Editions de l'An 2 - Roman visuel 2006 / 24 € - 157.2 ffr. / 206 pages ISBN : 2-84856-063-0 FORMAT : 19 x 23,5 cm Imprimer
Suite à lattaque de Pearl Harbor en décembre 1941, le gouvernement américain décide de regrouper les habitants dorigine japonaise loin des côtes, dans des camps dinternement installés à la hâte. Les Japonais, ou les Américains dascendance japonaise, sont maintenant tous les mêmes « Japs », des ennemis en puissance à lintérieur du territoire, un « péril jaune » quil faut enrayer par tous les moyens. Au total, près de 110000 personnes seront internées. La moitié de cette communauté est composée denfants, et les deux tiers ont la nationalité américaine. Mais pour le gouvernement Roosevelt, lheure nest pas à la sagesse ou au tri minutieux, et de mars 1942 à début janvier 1945, une dizaine de camps seront constitués, (la plupart du temps dailleurs au cur même de terres indiennes).
Cest seulement en 1988 que la communauté japonaise recevra des excuses officielles de la part du gouvernement, ainsi que quelques compensations financières. Si cette période reste méconnue, cest en grande partie dû au faible nombre de témoignages relatant les faits. On connaît le reportage photo dAnsel Adams dans le camp de Manzanar, et Hollywood, si friand de films sur la guerre du Vietnam par exemple, na traité directement le sujet quune seule fois (Bienvenue au Paradis, Alan Parker, 1990). Quelques personnes internées dans les camps ont depuis publié leurs mémoires et parmi elles, Miné Okubo a choisi de relater son expérience à travers un livre de dessins. Son récit, Citoyenne 13660, paraît aux États-Unis en 1946. Cest le premier témoignage direct sur ces camps de rassemblement.
Lorsquelle arrive au camp de Tanforan en mars 1942, Miné Okubo a presque 30 ans. Et pour les deux années qui vont suivre elle perd son nom de famille pour le matricule 13660. Rapidement, elle décide de consigner tout ce quelle vit alors. Étudiante en arts, elle choisit de tenir un journal illustré. Ce carnet de vie est composé de près de 200 pages, chacune comportant une illustration et un commentaire plus ou moins long décrivant les événements. Miné Okubo raconte les camps au quotidien, la foule qui se presse à la cantine, les écuries devenues chambres, les douches sans eau chaude, la promiscuité et la saleté. Les saisons passent et après le froid et le vent de lhiver, ce sont la chaleur étouffante et les moustiques quil faut supporter. Peu à peu, la communauté sorganise, Miné travaille pour le journal du camp, des écoles se créent, danciens paysagistes construisent un lac artificiel au milieu du site, dautres organisent des matchs de sumo
Le parti pris de Miné Okubo est de raconter la vie au camp à la manière dune journaliste dépêchée sur place. Elle ne parle jamais delle et de ses émotions, et garde constamment un regard neutre sur ce quelle décrit. On la voit dailleurs, dans presque tous les dessins, lil noir et perçant, la bouche fermée : image étonnante qui mêle fierté et acceptation, sans jamais lidée de porter un quelconque jugement. Parfois même, cest avec une note dhumour et un détachement étonnant quelle relate quelques faits marquants. Il faut dire que les absurdités de cette situation sont nombreuses. Au détour dune phrase, on apprend par exemple que lun des frères de Miné combat vaillamment en Europe sous les couleurs américaines
Les dessins ne sont pas la simple illustration du texte quils chapotent, ils en disent même souvent plus long grâce à un trait simple et descriptif qui cherche constamment à embrasser du regard un maximum déléments. Sil fallait dénicher un motif récurrent à ces représentations, ce serait celui de lespace limité. Miné Okubo dessine des personnages très grands, envahissants ainsi tout le cadre. Ou alors, cest la foule qui envahit limage ne laissant plus un centimètre de libre. À chaque fois, cest ce confinement qui est de mise ; un manque despace et de liberté dautant plus ironique que le second camp où séjournera Miné se trouve perdu en plein désert.
Traduit aujourdhui pour la première fois en français, soit soixante ans après sa première parution, Citoyenne 13660 est un remarquable témoignage historique sur une période peu connue de lhistoire des États-Unis (et lon comprend aisément que le sujet a de quoi rendre muette la grande Amérique, terre de rêves et de liberté). Après toutes ces années, louvrage na aucunement perdu de sa force et acquiert même une certaine modernité. Avec ce livre, la voix de Miné Okubo résonne bruyamment et trouve malheureusement encore aujourdhui deffroyables échos.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 16/04/2006 ) Imprimer | | |
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