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Bande dessinée -> Réaliste |
| Jirô Taniguchi L'Homme qui marche Casterman - Ecritures 2015 / 25 € - 163.75 ffr. / 226 pages ISBN : 9782203093805 FORMAT : 17,3x24,1 cm Imprimer
Voilà déjà la quatrième réédition en vingt ans de cet album magique. Cette
fois, il sagit de lédition « anniversaire ». Cest aussi loccasion de
célébrer la venue de Jirô Taniguchi, et lexposition qui le consacre, au
42ème festival dAngoulême. Pour cette ressortie, il y a trois nouvelles
inédites (dailleurs passablement à côté du sujet aussi bien dans le fond
que dans la forme), une couverture rigide et de nouvelles planches en
couleur. Il y a surtout toutes les pages qui font LHomme qui marche
et cest évidemment lessentiel.
Tout le scénario se résume à ce titre faussement mystérieux puisque,
effectivement, il ny aura réellement rien dautre que cet homme qui marche.
Marcher sans but si ce nest celui de se faire plaisir. Se promener, errer
et peut-être même avoir la chance de se perdre. Chacune des dix-huit petites
"histoires" qui composent cet album se déroule de la même façon. Lhomme
anonyme, nimporte qui, se promène et souvre au monde, au climat, à la
faune et la flore, dans une sorte de quête simple du plaisir anodin et
pourtant primordial. En symbiose avec la nature qui lentoure, et suivant
les principes bouddhiques de base (cette tendresse et ce respect portés à
toutes les créatures vivantes), lhomme nen finit plus de savourer ces
longues promenades silencieuses.
Au fond, cet album ne raconte rien dautre que le bonheur. Sujet
soigneusement évité de toutes formes de narration dramatique depuis Homère
car, forcément, le bonheur est ennuyeux à suivre. Le défi de Jirô Taniguchi
est de rendre passionnante cette joie dêtre en vie sans tomber dans le
mièvre ou le ridicule. Les petits plaisirs au quotidien mis en scène au fil
de ces planches se devaient dêtre aussi captivants que les déboires
dUlysse à travers la Méditerranée.
Ce pari insensé est pourtant réussi dès les premières planches ; la
technique de Taniguchi consistant à mettre en scène sensations et micro-
événements qui construisent ce bonheur. Succession de vignettes
silencieuses, découpage aéré ou parfois plus serré, le rythme de lecture
doit alors suivre celui de ce marcheur anonyme. Ne pas se précipiter,
savourer chaque vignette et dévorer du regard les décors tous très
travaillés et superbement restitués par un trait précis et sans faille. Loin
de céder à une esthétique impressionniste qui aurait sans doute alourdi la
thématique de départ, lauteur de Quartier lointain continue de
rendre avec une précision darchitecte chemins de campagnes et quartiers
résidentiels.
Le monde qui soffre alors au regard du marcheur devient aussi domaine du
lecteur qui se doit dadopter le même esprit douverture à tous ces petits
riens. Et tel ce marcheur anonyme, de rester aux aguets de toutes ces
sensations dessinées. Paradoxalement, LHomme qui marche, la bande
dessinée où "rien" ne se passe, exige donc de son lecteur une attention
constante sil veut atteindre son but.
Forcément poétique par son refus - éminemment moderne - dune quelconque
fiction narrative, lalbum aurait hérité du haïku japonais cette façon de
rendre soudainement unique un petit rien. Une feuille qui tombe, la
sensation de lécorce dun arbre sous les doigts, ou encore le verre deau
fraîche au bout dun après-midi de canicule. Véritable entomologiste de la
sensation, Taniguchi excelle dans lart de rendre palpable cette banalité
primordiale. Chacun des cinq sens est ainsi soigneusement mis en valeur à un
moment ou un autre ; le plus important pour le lecteur, la vue, nétant pas
forcément essentiel pour lhomme qui marche, comme le montre lune des
histoires où le héros casse ses lunettes.
Album ovni, et par là indémodable, LHomme qui marche reste toujours
aussi pertinent tant par son contenu que dans sa manière daborder la bande
dessinée comme art à part entière, finalement libérée de toutes inspirations
littéraires ou cinématographiques. Et si luvre ravit par sa thématique
simple et optimiste, cest avant tout cette formidable leçon de bande
dessinée méthodiquement mise en place par Taniguchi qui rend cet album
toujours actuel et définitivement indispensable.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 17/01/2015 ) Imprimer
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