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Bande dessinée -> Réaliste |
| Jean-C. Denis Quelques mois à l’Amélie Dupuis - Aire Libre 2008 / 15 € - 98.25 ffr. / 88 pages ISBN : 978-2-8001-4150-3 FORMAT : 23x31 cm Imprimer
La collection Aire Libre a vingt ans et pour loccasion, les éditions Dupuis ont choisi de rééditer quelques-uns des albums parus sous ce label. Des éditions limitées présenteront ainsi les livres augmentés de textes et de dessins, à linstar de cette nouvelle version de Quelques mois à lAmélie qui comprend dans sa version « luxe » quelques illustrations grand format et des crayonnés inédits. Aire Libre, cest loccasion pour Dupuis à la fin de ces années 80 moribondes, de mettre en avant une bande dessinée dite plus adulte, et commencer ainsi à changer limage, collante, dun art niais seulement voué à la cause enfantine. La collection réunit ainsi des auteurs (et pas forcément des nouveaux talents) qui racontent des histoires qui nappartiennent pas à des séries, des récits forts portés par des styles bien tranchés, des « romans graphiques » si tant est que lexpression signifie quelque chose. Si au bout du compte, Aire Libre finit par rassembler un peu tout et le reste (pas au point tout de même de devenir le grand capharnaüm quest la collection Écritures de Casterman
), la collection a quelques beaux titres à son actif et a su garder un certain standing : Vitesse moderne, Prosopopus, Le Photographe ou Déogratias sont quelques uns de ces grands albums, parfaitement à laise dans ces grands formats plutôt classieux.
Et Quelques mois à lAmélie fait aussi partie de ces réussites. Six ans après sa première parution, lalbum conserve une belle prestance tant narrative que graphique et distille encore un charme assez délectable, faisant flotter ses personnages dans une sorte de rêverie décousue, où les sentiments évoluent doucement, simplement.
Lhistoire est racontée par Aloys Clark. Ou plutôt Aloys Leclerc, écrivain usé, en panne textuelle depuis plusieurs années, vivotant par-ci par-là de droits dauteurs et de conférences données à des étudiants dans quelques universités de province. Comme épuisé avant lheure, vidé de toute inspiration, Aloys se complait dans lalcool et laigreur. Cynique sans être drôle, il donne limage dun homme aussi perdu que réaliste sur son existence, comme ayant emprunté un mauvais chemin au mauvais moment et ne pouvant plus faire marche arrière, senfonçant toujours plus dans la mélancolie et la dépression. Un zombie parmi les vivants.
Heureusement pour lui, une porte de sortie va bientôt souvrir. En rangeant sa bibliothèque histoire de soccuper lesprit et de donner un semblant dutilité à ses journées, Aloys tombe sur un livre neuf, jamais lu, et dont il na aucun souvenir. Écrit par un illustre inconnu, Jacques Dorian, et même si « ce nétait pas un chef-duvre de la littérature (
) lensemble respirait la vie et la bonne humeur. » Cest à partir de cette lecture salvatrice que le désir de reprendre le contrôle sur sa vie va surgir pour Aloys. Voilà lours parti sur les traces de cet auteur mystérieux, cherchant comme lui à faire des rencontres au hasard, provoquer le destin, changer le cours des choses. Et cest finalement pour le romancier le déclic pour reprendre lécriture, se sentir vivant à nouveau, et suffisamment fort et conquérant pour vaincre la page blanche. Mais en voulant copier-coller le parcours de Dorian, Aloys va fatalement passer à côté de lui-même, et il lui faudra quelque temps avant de parvenir à suivre son propre chemin, créer son espace créatif personnel, et délimiter ainsi son uvre intime.
Récit sur linspiration et la création, Quelques mois à lAmélie cest laventure dun ouvrage en marche, le portrait dun artiste devenu imposteur à force de vide créatif qui reprend soudainement le goût de vivre et décrire via luvre dun autre. Jean-C. Denis met en scènes cette résurrection artistique avec tact. Il fait de ce cheminement une promenade avec les morts-vivants, un dangereux flirt qui fait parfois dévier lalbum vers dinsolites variations aux limites du fantastique avant de ne garder de ces dérives que des symboles marquants (les silhouettes posées sur le bord de la nationale, en hommage aux victimes de la route), ou le souvenir dun être cher, fantôme encombrant pour quelquun comme Aloys qui cherche à revenir parmi les vivants.
Au final, le récit dAloys, fait de tours et de détours, de flashbacks superposés et dellipses suspendues, deviendra le manuscrit dun nouveau livre dont il manque encore la fin. Belle conclusion en suspens pour un album qui, sans cesse, déjoue les attentes, et sait maintenir lattention. La ligne claire et les teintes discrètes de Jean-C. Denis laissent au récit toute la place pour se développer paisiblement, mettant au premier plan les personnages et leurs blessures, sans jamais chercher le spectaculaire, et laissant les zones dombres entre les lignes écrites par Aloys.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 29/01/2008 ) Imprimer
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