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Bande dessinée -> Fantastique |
| Kerascoët Fabien Vehlmann Jolies Ténèbres Dupuis 2009 / 15.50 € - 101.53 ffr. / 92 pages ISBN : 978-2-8001-4238-8 FORMAT : 22x31 cm Imprimer
Cela commence comme dans un jeu, lorsque les enfants samusent à singer les grands. La petite Aurore invite le petit prince Hector à venir prendre un chocolat chez elle. La dînette est servie, les touts petits plats sont dans les moins petits. Mais soudain, quelque chose se passe, dérape. Une drôle de substance rouge et visqueuse envahit lendroit. Il faut fuir au plus vite avant que ce flot sanguin ne noie tout le monde. On découvre en effet que toute une communauté vit dans les parages, cherchant la sortie. Et voilà quon retrouve le grand air. Il fait nuit, cest la campagne. Une petite fille gît sur le sol, inanimée, morte. Aurore et ses amis, pas plus grands que ça, sortent des narines et de la bouche de cette enfant. Bienvenue chez les Minipouss au pays de lhorreur.
Le prologue de Jolies Ténèbres est à limage de tout lalbum, dérangeant et surprenant. Voici un mélange audacieux de conte pour enfants et dhorreur pure, un univers tendre mâtiné de violence terrible et de scènes parfois insoutenables. Le tout toujours représenté avec une évidence enfantine par un dessin naïf et coloré, au milieu des fleurs et des hautes herbes. Sous des airs denfants de chur, les auteurs prennent ainsi leur lecteur par surprise et lemportent dans un récit bucolico-trash assez détonnant, où derrière un dessin tout joli, tout poétique, cest la barbarie et la sauvagerie qui règnent. Cest linstinct de survie qui est ici le plus souvent à lorigine des pires massacres, mais la violence gratuite est aussi présente, et fait froid dans le dos. Les actions et les sentiments les plus mauvais sont ainsi mis en évidence dune scène à lautre : hypocrisie, mensonge, traîtrise, lâcheté, assassinat, abandon, cannibalisme, torture, énucléation,
tout y passe, et ce avec un humour noir suffisamment bien caché pour laisser le lecteur mariné dans son malaise.
On ne saura rien de cette fille dont le cadavre se décompose peu à peu, mangé par les vers. Les questions resteront en suspens, donnant à cette pauvre victime anonyme le statut de symbole. Elle est à elle seule lEnfance perdue, torturée, lInnocence envolée.
Fiers de leurs idées, et un peu roublards sur les bords, les auteurs samusent à multiplier les scènes épouvantables, les moments terrifiants. Provocations gratuites ? Si lensemble, semble dabord manquer dune réelle structure narrative, et se contenter denfiler les saynètes, passant dun personnage à lautre, dune férocité à une autre, le résultat sapparente finalement à une sorte de vision panoramique de toutes la sauvagerie humaine. Mis bout à bout, et dans leur empilement successif, ces instants bloquent peu à peu lhorizon, étouffent tout espoir de sortie, annihilent toute humanité. En en rajoutant toujours un peu plus dans lhorreur, les auteurs poussent leurs personnages à prendre parti, et à refuser la demi-mesure. Dans un monde brutal, où des enfants sont laissés pour morts dans la forêt, il est difficile de rester un saint, et peu à peu la gangrène pousse tout le monde au crime, même les plus sages.
Au fil des séquences, le personnage dAurore évolue en conséquence. Toujours encline à faire le bien autour delle, à protéger les plus faibles et chercher à ce que tout aille mieux pour tout le monde, la pauvre fillette va finalement sapercevoir que tout nest pas si évident et la cruauté des uns va réveiller chez elle aussi les instincts les plus noirs. La boucle est bouclée : à linstar du cadavre dans lherbe (qui porte aussi le nom dAurore), la fillette va elle aussi perdre sa fragilité, et mettre au placard ses rêves et ses valeurs. Terrible constat dun échec, et contrairement aux contes pour enfants, la morale est ici loin dêtre sauve. Comme si le livre allait au bout de la logique de la littérature jeunesse et, pour une fois, ne cachait rien de la dure réalité des choses.
Original et perturbant, voilà un album qui, derrière des airs malins de provocateur un peu trop malin, marquera plus dun lecteur en le confrontant ainsi directement aux plus bas aspects de la nature humaine.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 16/03/2009 ) Imprimer
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