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Bande dessinée -> Fantastique |
| Charles Burns Black Hole Delcourt - Contrebande 2006 / 29.90 € - 195.85 ffr. / 368 pages ISBN : 2-7560-0379-4 FORMAT : 18x25 cm Imprimer
Après avoir fait paraître la série au fur et à mesure de sa publication sous forme de six comics, Delcourt publie aujourdhui lintégrale de Black Hole dans une très belle édition similaire à loriginale américaine de chez Pantheon Books, la qualité du papier en moins. Loccasion pour ceux qui étaient passés à côté de découvrir un chef-duvre de la bande dessinée américaine de ces dernières années, une uvre au noir à la beauté hypnotique, un récit émouvant et profondément dérangeant.
Une décennie de travail aura été nécessaire à Charles Burns pour mener à bien ce roman-fleuve cauchemardesque et torturé qui suit le parcours de quelques jeunes gens en proie à une terrifiante MST. Une décennie qui naura pourtant jamais mis à mal la cohérence de lensemble, ni amoindri le propos. Tout est ici parfaitement maîtrisé, du graphisme singulier et marquant à la progression narrative impeccable. Luvre, remplie de flash-back et alternant les points de vue, est parsemée déchos, de résonances qui agissent de façon quasi subliminale sur le lecteur, plongeant celui-ci dans un univers singulier, labyrinthique et touffu. Lambiance est continuellement pesante, et linquiétante étrangeté qui se dégage de ces scènes affole en même temps quelle attire. Si le lieu est celui dune petite ville de banlieue américaine dans les années soixante-dix, tout est fait pour rendre les repères flous, comme le décor dun mauvais rêve qui semble familier autant quil déconcerte: les adultes sont absents, les rues souvent désertes, la ville à peine aperçue, les lieux jamais cités, le reste du monde totalement évincé. Le résultat est dune implacable noirceur : les jeunes protagonistes sont ainsi comme livrés à eux-mêmes, coupés de tout et ne pouvant compter sur personne, projetés dans un univers parallèle, un trou noir en effet, qui a tout du huis clos mentalement effrayant et dont il semble pratiquement impossible de séchapper.
Lhistoire est celle de quelques jeunes adolescents aux prises avec une étrange maladie sexuellement transmissible qui affecte ses victimes dhorribles mutations dont on ne peut jamais prévoir les effets : gros boutons, peau qui se déchire, queue qui pousse, petite bouche qui apparaît au bas du cou
Chaque nouveau contaminé doit faire face à cette macabre loterie qui fera peut-être de lui un monstre. Quelques-uns choisissent de séloigner et de vivre en paria dans la forêt voisine. Dautres continuent de vivre, survivre et apprennent à aimer, en même temps quils shabituent à leur nouveau corps. Car au-delà de tout lattirail horrifique et fantastique, Black Hole reste obstinément penché sur les désirs et les sentiments de ses personnages ; jeune homme et jeune femme pareillement observés par un Charles Burns entomologiste bizarre mais sensible et capable de mettre en scène démouvantes scènes de lintime.
Dans un récit antérieur, Teen Plague (publié en France dans Big Baby chez Cornelius), Burns traitait déjà de ce thème dune maladie qui affecterait les teenagers sinitiant à lamour. Sil reprend lidée pour Black Hole, il la débarrasse pourtant de tout élément parodique et des références à quelques films de série B et autres comics dhorreur. De même, tous les thèmes déjà approchés par Burns, toutes ses obsessions, (la transformation du corps, la sexualité qui inquiète, la peur de devenir adulte
) sont repris mais dépourvus de toute dimension ironique ou burlesque à luvre dans les premiers travaux de lauteur. Ici, la métaphore est filée jusquà lexcès : la maladie devient une cauchemardesque variation dune MST ne sattaquant quaux jeunes gens qui découvrent lamour. Puritanisme obscène de la part de Burns ? La lecture complète de Black Hole fait heureusement voler en éclats une telle conception du livre autant quelle donne une image à la fois lyrique et tourmentée de ces « tendres années ».
Ceux qui avaient découvert Black Hole en lisant les premiers comics remarqueront à la lecture de cette intégrale labsence des portraits des jeunes ados qui ouvraient chaque nouvel épisode sous la forme dun troublant « avant / après ». Mais cest aussi les légendes qui accompagnaient ces portraits qui ont disparu ; lune delles présentait la maladie comme envolée au bout de quelque temps, sapparentant ainsi à une mauvaise puberté qui passait avec lâge. En ayant, on sen doute délibérément, enlevé ces portraits, Burns choisit dobscurcir encore plus, si cest encore possible, le tableau et lavenir de ses personnages
Le dessin, sublime, plonge les personnages dans dinextricables flaques dencre noire épaisse qui les englue peu à peu, les immobilise. La ligne claire trempée dans ce noir profond donne des contours nets et brillants à chaque objet, chaque détail, rendant ainsi significatif et menaçant le moindre élément de décor. Le découpage, serré et précis, laisse peu de marges de manuvre aux protagonistes totalement prisonniers. Pour certains, le retour à la nature, à limmensité du ciel ou de la mer sera loccasion déchapper à ces endroits cloisonnés. Et lorsque lon croit tenir un espoir dans la lumière blanche qui est au bout du tunnel, louverture savère être une cicatrice, une coupure profonde qui ouvre de nouveau sur linconnu et lhorreur, encore et toujours lobscurité.
uvre riche et complexe, Black Hole est de ces album que les nombreuses lectures népuisent jamais complètement. Et si lon choisit, en connaissance de cause, de ne feuilleter que quelques pages ou de relire un passage précis, cest toujours la même impression dun ouvrage fortement habité, touchant lesprit avec une piquante acuité, qui continue daffleurer à chaque page. On est donc prévenu, on ne plonge pas impunément dans ce trou noir, même dun coup dil. À tout moment, sy perdre reste une saisissante, autant quexcitante, éventualité.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 19/12/2006 ) Imprimer
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