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Bande dessinée -> Science-fiction |
| Enrique Breccia Hans Rodionoff Keith Giffen Lovecraft Soleil 2004 / 19.50 € - 127.73 ffr. / 144 pages ISBN : 2845656955 FORMAT : 24,7 x 34,3 cm Imprimer
Lovecraft avait-il raison ? Après la récente adaptation de quelques-unes de ses nouvelles par le dessinateur H. Kleist (Les rats dans les murs, chez Akileos) ou la superbe Ile des morts (Mosdi et Sorel), il faut en tout cas croire que son uvre revient en force dans la BD. De fait, cet écrivain précurseur dun fantastique très particulier semblait quelque peu tombé en désuétude : style complexe qui sappesantit plus sur une atmosphère que sur laction, créatures inimaginables et rarement décrites, pessimisme constant et conclusions généralement apocalyptiques
bref, Howard Philip Lovecraft est un auteur dambiance tout à fait dans le ton du XIXe siècle, mais un peu marginal pour les goûts dun XXIe siècle épris de vitesse et de facilité. Son uvre est pourtant des plus captivantes et lon a parfois envie de dire, comme tel maréchal dempire au sujet de ses hussards, que tout amateur de fantastique qui na pas lu Lovecraft avant trente ans est un jean-foutre
Manière de souligner un peu rudement le charme mélancolique de cette littérature. Mais de là à envisager une adaptation, il y a là un pas quil nest pas évident de franchir, et qui suppose davoir mûrement réfléchi sur luvre et son auteur.
Aussi faut-il saluer avec enthousiasme la publication de cette remarquable adaptation au sens propre du terme de la vie de Lovecraft sous langle de son uvre. Car le procédé employé par Lovecraft lui-même, et que les amateurs de Borges connaissent bien, est celui du canular littéraire : Lovecraft construit de toutes pièces une cosmologie originale, avec ses dieux, ses créatures diverses, ses livres saints et hérétiques (Le Necronomicon), en sous-entendant que tout cela est vrai (références bibliographiques à lappui) et relève dune histoire secrète et immémoriale de lhumanité. La plus grande ruse du Diable, cest de faire croire quil nexiste pas, dit-on. Tel est le talent évocateur de Lovecraft et de ses disciples, que nombre de lecteurs sont encore convaincus de la véracité de certaines affirmations. Aussi est-il habile dimaginer que la cosmologie lovecraftienne soit réelle, et laisser entendre que son auteur avait, seul, la vision de ces créatures maléfiques et le moyen de les contrôler. Telle est la trame de ce magnifique album, qui voit Lovecraft, de lenfance à lâge adulte, alterner les passages entre une vie réelle déprimante (la sienne) et un autre univers cauchemardesque (via la ville dArkham, que les fans connaissent bien), dont on devine quil est à nos portes.
Le projet est original à plus dun titre : tout dabord, lidée dadapter luvre de Lovecraft est hélas trop rare, et le scénario, mêlant des éléments de biographie à des extraits de son uvre, est tout à fait passionnant. Mais surtout, en partageant entre deux dessinateurs les évocations de la réalité et des visions de Lovecraft, lalbum donne à cette histoire une cohérence graphique particulière. Les deux styles étant assez différents (ainsi que le choix des couleurs respectives de chaque «univers»), le lecteur évolue avec facilité (sinon avec sérénité) entre fiction et réalité, éveil et cauchemar.
Au final, avec cet album original et dune qualité graphique incontestable, qui rend aussi fidèlement que possible le côté onirique des visions de Lovecraft, les éditions Soleil publient plus quune BD, un véritable roman graphique et une tentative réussie de figuration dun univers très apprécié des amateurs de fantastique et de jeux de rôle, mais quelque peu délaissé du fait de sa grande complexité. La performance est notable et doit être appréciée à sa juste mesure, c'est-à-dire celle du talent.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 02/07/2004 ) Imprimer | | |
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