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Bande dessinée -> Science-fiction |
| Miguelanxo Prado Stratos Mosquito 2007 / 13 € - 85.15 ffr. / 64 pages ISBN : 2-35283-002-8 FORMAT : 23x30 cm Imprimer
Réédition dun album initialement paru en 1990 chez les Humanoïdes Associés, Stratos est une occasion de (re)découvrir les premiers pas du dessinateur espagnol et surtout une autre facette de son talent de graphiste, dans un univers de science fiction cauchemardesque en noir et blanc, éloigné des ambiances oniriques de Venin de femme et des vignettes vives et explosives des Chroniques absurdes. Ici, cest un Prado encore studieux et qui se cherche ; le crayon inspiré et jamais paresseux, il compose des planches scrupuleusement hachurées, aux contrastes marqués et expressifs, de lombre profonde et des cieux blancs au loin. On remarque aussi le goût déjà prononcé pour la caricature et les faciès déformés. Les mentons sallongent, les crânes saplatissent, lévolution de lhomo sapiens a pris pas mal de coups sur la tête chez Prado, rendant chacun un peu plus laid, un peu plus ridicule. Le résultat est un monde peu convivial fait didées noires et de fumée grasse; des murs lisses couverts daffiches publicitaires, des intérieurs charbonneux, des usines dans le brouillard et des buildings écrasants. Et de lautre côté de la ville, la nature se réduit à une savane artificielle blanchie par la canicule ou des landes escarpées battues par les vents.
Après Fragments de lEncyclopédie des dauphins, avec lequel Stratos partage le même penchant pour lanticipation pas toujours très rose, Prado construit ici un univers cauchemardesque où lindividu est peu à peu soigneusement broyé par les grandes puissances et où les profits comptent plus que leurs vies (air entendu). Et lorsque ça nest pas le PDG de la boîte qui vous déglingue, cest le collègue dà côté qui vous poignarde dans le dos. Chacun pour soit et tous contre un, Stratos est une cité terrifiante où il ne fait pas bon vivre, une dictature brazilienne où les contraintes et les restrictions conduisent à une violence absurde et des comportements cruels. Et quand bien même on souhaiterait sévader pour un safari photos dépaysant, la sauvagerie et légoïsme refont surface, retour de bâton obligé pour une société déshumanisée et barbare. Quant au retour à la nature, loin de toutes technologies, cest lidéal refuge pour quelque temps mais risquant vite dennuyer les technocrates indécrottables. Lhumour grinçant de Prado est ici continuellement de la fête et le déraisonnable kafkaïen est convoqué à plusieurs reprises, bouffées doxygène certes peu fraîches mais bienvenues dans un monde qui ne propose guère dalternatives heureuses.
En plusieurs petites nouvelles, Prado dresse donc larchitecture brinquebalante dune cité bouffée par largent, la publicité, la terreur et la surveillance. Chaque histoire passe dun personnage à lautre, mais au final, peu dindividus restent à sauver. Du petit employé dusine au grand magnat en passant par linfirmière niaise ou le banquier sans scrupule, chacun rajoute une couche de bêtise, de méchanceté, didiotie perverse et dindividualisme forcené. Lamour et les sentiments nont plus leur place ici. Rappelons que la plupart de ces planches datent de 1984. Date symbolique pour un auteur motivé et talentueux marchant sur les pas dOrwell. Même si tout ici ne semble finalement pas dune mordante originalité, et si on lui préfèrera les atmosphères aériennes de Trait de Craie ou les méchantes fables cartoonesques que sont les Chroniques absurdes, Stratos reste une mordante évocation dun avenir pas forcément éloigné ; une vision du futur toujours dactualité servie par un graphisme remarquable.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 24/07/2007 ) Imprimer
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