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L’espion qu’on aimait
Matt Kindt   Super Spy
Futuropolis 2008 /  23 € - 150.65 ffr. / 336 pages
ISBN : 978-2-7548-0179-9
FORMAT : 15x21,5 cm
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Voilà sans doute l’album le plus ambitieux et le plus riche de ces derniers mois. Super Spy est de ces livres qui ne se laissent pas déshabiller dès la première rencontre. Un recueil qui prend le temps de titiller le lecteur, lui donner du fil à retordre, de le perdre même, pour finalement mieux à nouveau l’aguicher, l’attirer dans ses filets, mailles tressées de cases et de bulles, diabolique bande dessinée.

La trame générale, une fois largement déroulée, conte les exploits, aventures et autres vicissitudes de quelques espions pendant la Seconde Guerre mondiale. Certains se croisent, d’autres se combattent, et les missions secrètes les emportent de Paris au Caire, de Londres à Berlin. Matt Kindt mélange les faits historiques, les épisodes de romans de gare et sa propre imagination, comme pour faire de cet imposant et luxueux ouvrage le livre ultime sur l’espionnage, ses gens et ses manœuvres, ses drames et ses succès. On y croise une tueuse à gages impitoyable, des petits et grands espions, des déserteurs, des méchants et des moins mauvais. On découvrira aussi les petites habitudes de chacun, les moments de bravoure, les désillusions, et les nombreux retournements de situation. Au final, fil d’Icare à suivre plus ou moins de près, c’est un projet top secret qui passe de main en main, de codes en décodages, d’un mort à l’autre. Tous les moyens sont bons dans ce monde sans pitié : trahison, agent double, agent triple, explosions, assassinats, couvertures diverses. Les cryptogrammes sont partout, tout est à déchiffrer : un livre illustré, une danse, et même du linge étendu sur un fil. Le monde de l’espionnage est fait de ces sous-entendus continuels, dont les erreurs de traduction peuvent mener au pire.

Chacun des 37 petits épisodes peut se lire indépendamment ou presque, chacun apportant un nouvel éclairage sur cet univers de serial explosif. Une vision tour à tour exaltante, angoissante, absurde ou étrangement banale que Kindt s’amuse à décomposer via divers prismes graphiques et narratifs, comme pour ajouter à chaque fois un nouveau code, une nouvelle pièce au puzzle. L’auteur s’est en effet ingénié à rendre la lecture de ce petit pavé alambiquée et tortueuse, comme à l’image des messages délivrés ici et là, la compréhension passera par le déchiffrage et l’interprétation, deux valeurs essentielles dans la découverte d’une bande dessinée, deux codes à repérer. Code graphique (couleurs, trait…), et narratif (des vignettes qui se répètent, des planches qui se font écho, des passages très littéraires, d’autres entièrement muets…). Comme les espions, le lecteur devra décrypter les informations premières, et savoir lire entre les lignes. Pour corser l’affaire, Kindt a délibérément placé ces petits épisodes dans le désordre, libre ensuite au lecteur de vouloir relire l’ensemble dans sa suite chronologique. C’est un récit à tiroirs sans fond, tortueux et alambiqué, à la construction précise et volontairement déroutante, qui laissera sur le bas côté les moins attentifs, mais captivera les autres tant la lecture, une fois acceptée les règles du jeu, s’avère à la fois passionnante et originale. Super Spy est ce genre de livre, comme un Perec graphique, vivier de lectures différentes, de sens multiples et de découvertes uniques à chaque nouvelle lecture.

Sous ces atours à la fois ludiques et violents, le monde des espions perd un peu de sa superbe. Chacun ne reste qu’une silhouette, un agent avec ses caractéristiques propres, son terrain d’investigation, ses faiblesses et ses points forts. Des pions sur un échiquier géant et labyrinthique, un jeu de l’oie sauvage. Mais derrière les missions et les cryptogrammes, il y a des hommes et des femmes, des histoires de cœur, des désillusions, des espoirs envolés, des combats perdus.

Architecte de la bande drôle et méticuleux, Kindt signe là un livre stimulant, une vraie réussite très éloignée des publications relevant du même genre certes, mais ô combien plus savoureuse.


Alexis Laballery
( Mis en ligne le 08/12/2008 )
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