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Bande dessinée -> Aventure |
| Fred Duval Thierry Gioux Hauteville House (tome 1) - Zelda Delcourt - Conquistador 2004 / 12.50 € - 81.88 ffr. / 48 pages ISBN : 2-84055-886-6 FORMAT : 23 x 32 cm Imprimer
Hauteville House, pour ceux qui lignoreraient, est le nom de la maison occupée par Victor Hugo, lors de son exil sur les îles Anglo-Normandes, à la suite du coup dEtat du 2 décembre 1851, perpétré par Louis-Napoléon Bonaparte. Le 2 décembre de lannée suivante, celui-ci se faisait proclamer empereur sous le nom de Napoléon III. En 1859, son pouvoir solidement assuré, lempereur amnistiait les proscrits du 2 décembre. Certains rentrèrent en France ; pas Hugo, qui déclara depuis son exil : «Quand la liberté rentrera, je rentrerai !»
En 1862, Napoléon III mit en uvre ce que ses admirateurs appelèrent «la grande pensée du règne» : profiter de la guerre de Sécession américaine pour prendre pied au Mexique et y bâtir un empire, confié à larchiduc dAutriche, Maximilien en clair : faire de la France la métropole dune immense colonie en Amérique centrale. Cest ce contexte que Fred Duval et Thierry Gioux ont choisi pour leur toute nouvelle série.
Autant le dire tout de suite : on ny voit pas Victor Hugo. La référence au poète devenu républicain est dabord une incantation qui place lalbum, demblée, sous la protection de ce héros des libertés républicaines. En revanche, on y voit beaucoup
Gavroche ou plutôt Gabriel Valentin-la-Rochelle, qui nous affirme que Victor Hugo la dépouillé de son nom de code dagent secret pour en faire un des personnages des Misérables (paru en 1862). Cela dit, Hauteville House, présenté sommairement comme le siège central dagents républicains luttant contre les menées autoritaires de Napoléon III, et Gavroche, sont les seules références à Hugo, dont lunivers poétique est assez éloigné de celui de Duval et Gioux.
Ceux-ci semblent en effet beaucoup plus inspirés par Jules Verne jamais cité poutant , dont les premières uvres datent précisément du début des années 1860 (Cinq semaines en ballon date de 1863, la série des Voyages extraordinaires commence en 1864). Et là réside probablement la clé de la réussite de Hauteville House. Les auteurs parviennent en effet à créer un monde futuriste en 1864, cest-à-dire non pas un monde qui nous paraîtrait futuriste et qui se situerait en 1864, mais un monde futuriste pour les gens de 1864, tout en nous semblant désuet. Cest dire si Jules Verne est le véritable patron de cette histoire.
Et lhistoire est très bien menée : rien nest complètement aberrant (ni les ballons dirigeables, dont Jules Verne fait usage dès 1863, ni la photographie le brevet du daguerréotype a été déposé en 1839 , ni les bateaux à vapeur, ni le train, ni lascenseur, ni les coffres-forts
) ; mais tout est modernisé dans des proportions inconnues en 1864, et en grande partie inconnues par la suite (à limage de ces ports de Rouen et de Vera Cruz saturés de ballons dirigeables !), donnant leffet dune anticipation
dépoque. Une histoire très astucieuse aussi, puisque ce qui pourrait apparaître comme des erreurs historiques (la connaissance des empreintes digitales, par exemple) sinscrit au contraire dans la logique de lanticipation : comme la capitaine Nemo «invente» le sous-marin en 1869, les soldats républicains de Hauteville House inventent les empreintes digitales bien avant Bertillon. On est bien daccord avec Gavroche lorsque, sauvé à deux reprises par son valet, il lui dit comme un clin dil : «Belle anticipation, Georges !»
Belle anticipation, donc, que cette salle de commandement située dans les sous-sols de Hauteville House, qui «rappelle» celles des films de James Bond. Belle anticipation aussi que ce Gavroche dont les «méthodes privilégient un peu trop le sexe et la violence» (même si, pour ce qui est du sexe, rassurons les lecteurs chastes : lalbum peut être lu par tous). Belle anticipation, également, que ce robot «dépoque», dont Gavroche peine à se dépétrer. Belle anticipation, enfin, que cette Zelda, agent secret dAbraham Lincoln qui, dans une scène daction danthologie, réussit à faire passer des sous-vêtements féminins des années 1860 pour le nec plus ultra des tenues actuelles de close-combat !
On pourrait sans doute trouver des faiblesses dans la narration, qui emprunte un peu trop aux récits daction les plus communs. Mais lambiance exceptionnelle dans laquelle nous plongent Duval et Gioux mérite quon sattarde sur cet album bien plus rigoureux que La Ligue des Gentlemen extraordinaires duquel on aurait envie de le rapprocher. On attend le deuxième tome avec une certaine impatience : Hauteville House promet dêtre une bien belle série.
Sylvain Venayre ( Mis en ligne le 28/02/2004 ) Imprimer
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