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Le Proche-Orient pour les esthètes | | | Jean-Pierre Filiu David B. Les meilleurs ennemis (Deuxième partie -1953-1984) - Une histoire des relations entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient Futuropolis 2014 / 18 € - 117.9 ffr. / 104 pages ISBN : 978-2-7548-0825-5 FORMAT : 23,5x33 cm Imprimer
Un petit dessin vaut parfois mieux quun long discours : toutefois, et dans cet ordre didées, expliquer le Proche-Orient et ses complexités, notamment dans ses relations avec les Etats-Unis relève de la gageure
Pourtant, lhistorien Jean-Pierre Filiu et le dessinateur David B. lont fait, et bien fait. Après un premier tome qui posait le décor, ce second opus des Meilleurs ennemis poursuit le récit des rapports arabo-américains. On y croise quelques grands manieurs dhommes, dictatoriaux ou démocratiques, des conseillers plus ou moins de lombre, des peuples de plus en plus dépassés, des activistes et des militants luttant ou manipulés, des terroristes et des insurgés, des coupables et des victimes, et des uniformes, beaucoup duniformes, de tous les genres, militaires mais aussi politiques, religieux. Dans un Orient que lon savait compliqué, les idées simples aboutissent assez facilement à la violence politique et à la guerre.
Ce second tome débute en 1953, avec les affaires égyptiennes : au cur de la Guerre froide, Nasser intrigue, inquiète les Américains. Il tisse des relations dans la région, parvient à mettre en place une fragile République arabe unie avec la Syrie après avoir, envers et contre lEurope, nationalisé le canal de Suez. La partie est dautant plus serrée quIsraël est devenu un acteur important de la région, qui passe bientôt, avec armes et bagages, dès 1956 dans le giron américain, tandis que les anciennes puissances France et Grande Bretagne sont écartées de la course après la crise de Suez, seul moment de convergence américano-russe en guerre froide. Le Proche-Orient est donc au cur de cette guerre froide, dont les guerres israélo-arabes sont un énième reflet. Et comme des poupées gigognes, chaque conflit en cache un autre, comme enchâssé : la guerre froide alimente le conflit israélo-arabe, qui lui-même inspire laffrontement israélo-palestinien. Mais ce ne serait que celui-là : lIran, puis lAfghanistan, en attendant lIrak, viennent simbriquer dans ce cycle infini de violence et de réaction. La diplomatie sesquive peu à peu, au profit de linfluence, et des canons, qui envahissent significativement les cases (à cet égard, la guerre du Kippour est magistralement évoquée).
Les meilleurs ennemis fait partie de ce genre de bande dessinée qui intrigue, interroge : le discours est historien, pédagogue et dexcellent niveau, la mise en image est surréaliste, jouant du symbolisme pour expliquer, éclairer, découvrir au delà du langage politique les implications, les enjeux, comme un métalangage iconographique. On pourrait en dire autant des caricatures mais ici, le propos est plus dense, et entreprend dexpliquer une situation complexe en une vignette, noire et blanche. David B, toujours aussi à laise dans ce genre singulier, traduit lhistoire en métaphore, fait au passage quelques beaux hommages artistiques (dont un magnifique Moshe Dayan transformé dans le style de John Heartfield) et joue des divers marqueurs culturels pour identifier, souligner. La performance est réelle, et donne un objet singulier, enthousiasmant, qui séduira tous les amateurs dhistoire, dactualité et de belles images à lire, relire et déchiffrer encore et encore. Une réussite.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 16/04/2014 ) Imprimer
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