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Bande dessinée -> Humour |
| Jason Low Moon - & autres histoires Carabas 2008 / 20 € - 131 ffr. / 208 pages ISBN : 978-2-35100-495-1 FORMAT : 17x22 cm
Couleurs: Hubert Imprimer
Le titre de ce recueil résume le style de Jason. Low Moon, cest dabord une référence de cinéphile à High Noon classique du western américain minorée (le high devient low), et transformée. Glissement de mots, glissement de terrain, nous voilà ailleurs, dans un univers à la fois plus triste et plus absurde. De ce jeu transparaît finalement une certaine poésie, légère et mélancolique.
Jason aime les grands genres. Depuis le début de sa carrière, il sest ainsi attaqué au film dhorreur, à la science-fiction, au suspense hitchcockien, au film de cape et dépées, au thriller despionnage
Mais loin de sarrêter à une simple relecture du genre, Jason malaxe, mélange, déforme, provoque les rencontres incongrues. Son dernier livre (Le Dernier Mousquetaire) envoyait ainsi un mousquetaire de la reine affronter des extra-terrestres. Hemingway mélangeait avec habile fantaisie la biographie germanopratine au film de hold-up.
Avec lhistoire qui donne son titre à ce recueil, Jason sattaque cette fois au genre qui a longtemps été le plus populaire du cinéma américain, le western. Le postulat de départ suit les sacro-saints codes du genre : un étranger débarque en ville. Il revient se venger dune déconvenue que lui a fait subir le shérif quelques années plus tôt. La suite multiplie les références, les passages obligés et les apparitions forcées: linnocente institutrice, le shérif, le jeune compagnon, le saloon. Quelques détails mettent pourtant rapidement la puce à loreille : ici les cow-boys sabreuvent de cappuccinos, ils utilisent les téléphones portables, et les duels se font autour dun échiquier
Jason et son art du glissement singulier ont encore frappé !
Les quatre autres récits ici compilés sont du même acabit. Dans « Émilie vous passe son bonjour », le polar est réduit à sa plus stricte intimité, son essence même, noire et mélancolique, qui se marie dès lors à la perfection avec les affres de lamour impossible.
« & », est un discret mais brillant tour de force narratif, les pages de gauche et de droite racontant indépendamment une histoire avant de se confondre dans les touts derniers instants. Deux récits dhommes désespérés, seuls, répétant les mêmes actions en boucle sans parvenir à trouver dissue.
« Proto film noir » cest le facteur sonne toujours deux fois ou plutôt le facteur sonne quinze fois : ou comment un couple damants ne parvient pas à éliminer lencombrant mari.
Enfin, « Tu es là », reprend lidée de Jai tué Adolf Hitler : lamour fou qui dépasse le temps et les frontières. Aussi émouvant que drôle.
Cet humour de Jason, noir, mélancolique et absurde, est poussé tellement loin dans ses derniers retranchements que le rire nose même plus éclater de peur de faire une gaffe, de briser cette ambiance de tragi-comédie, ces silences pesants. Il faut sarmer dun solide deuxième degré pour apprécier pleinement le travail de Jason, car les univers absurdes élaborés ici ne sarrêtent jamais au seuil de la simple parodie, et les réflexions amères des héros dépassent le simple bon mot. Cest que malgré la fantaisie des genres et de situations, le quotidien des personnages chez Jason est toujours sinistre et désespéré. Le décorum nest quun leurre, une ruse pour, au final, ne parler que de nous.
Dessinateur faussement poli mais vraiment minimaliste, Jason élabore une ligne claire soignée, pure, refusant là encore de trop montrer, trop dire. Les couleurs vives et en aplats achèvent de donner à lensemble un air de livre tout à fait convenable, une banale petite bédé pour les enfants. Il suffira de deux ou trois pages lues pour sapercevoir quil vaut mieux aller coucher les plus jeunes
Adepte de la lisibilité, Jason livre un découpage régulier, dune apparente platitude. À une ou deux exceptions, chaque page comprend quatre cases verticales au format identique, rigoureusement centrées. Format vertical peu usité, surtout sur tout un album, puisquil bloque les grandes vues, et oblige le dessinateur à une mise en scène frontale, plate diront les sots. Cest que dans ces vignettes longues et closes dans lesquelles les corps semboîtent parfaitement, droits comme des I, les personnages de Jason sont déjà enfermés, paralysés. Avec leurs yeux vides, leurs mines apathiques, ils forment une communauté de clowns très tristes, réagissant à nimporte quelle situation avec la même figure impassible, presque inquiétante. On le voit, jusque dans cette monotonie de la page, sage et policée, se glissent déjà des éléments primordiaux qui font lunivers de Jason : cette mise en page rectiligne entraîne un rythme constant, dans les moments de précipitation comme dans les instants de rien (dont Jason est friand). Tout se déroule à la même vitesse, temps immuable qui marque son emprise sur des personnages qui ne peuvent plus se débattre, et dont le sort est comme déjà joué.
Moins spectaculaire que celle dun Chris Ware, la narration de Jason est pourtant aussi efficace et intelligente, faisant appel à la déduction du lecteur et à toutes les possibilités dexpression de la bande dessinée : ellipses, répétitions, histoires en boucle (et donc sans issue), dilatation ou compression du temps
Encore trop méconnu, Jason est pourtant lun des meilleurs auteurs de bande dessinée du moment. Tout à tour poétique, drôle, grave, graveleux ou émouvant, il a su réutiliser les codes du medium (la figure animalière, les séries, les genres, les formats
), pour les réinjecter dans un travail singulier et précieux, à latmosphère incomparable. Low Moon est sans doute lun de ses meilleurs livres et, joliment présenté dans cette édition à dos relié, cest loccasion rêvée de faire une belle rencontre littéraire.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 30/12/2008 ) Imprimer
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