|
Bande dessinée -> Humour |
| François Ayroles Le Jeu des Dames Casterman 2007 / 13.75 € - 90.06 ffr. / 56 pages ISBN : 978-2-203-39172-7 FORMAT : 24x32 cm Imprimer
Drôle dhistoire que ce Jeu des Dames
Un chassé-croisé de situations absurdes, de dialogues improbables, de mensonges et de sincérités. Le héros, comme souvent chez François Ayroles, traîne anonyme et peu bavard dans un monde où il narrive pas à simposer comme acteur. Puis ce jeune lycéen solitaire bascule dans la vie réelle pour suivre un curieux personnage tout à son opposé, bavard et sûr de lui. Mais où est lapparence, où la réalité ? On ne sait pas toujours qui détient la vérité dans ce duo burlesque, pris dans une vie de rencontres et de redéfinition permanente.
Comprendre les femmes et conquérir un cur, voilà lenjeu de lhistoire tel que le définit Monsieur Androuze au bout de quelques pages. Androuze qui nous entraînera dans ce but à la découverte de son invisible maîtresse, des grands magasins et des terrasses de bistrot. Mais cest aussi, plus simplement, un parcours initiatique, qui conduira le jeune garçon jusquà la découverte de son identité. Cherchant à se définir comme homme, il oscille entre toutes les ambiguïtés, en particulier sexuelles. Attiré par luniformité, par la mise en avant de son corps aux dépens de son esprit, il lui faudra de nombreuses pages avant de se trouver.
Dans ce cheminement fait danecdotes improbables, François Ayroles parvient à mettre en place un genre que la bande dessinée ne découvre quépisodiquement, au gré de quelques rares auteurs comme Dumontheuil ou Blutch : le roman psychanalytique. Cest comme un grand rêve surréaliste, dont chaque séquence ne prend sens que par son interprétation.
Ainsi de cet épisode où passagers dans un tram, les deux héros sassoient au milieu dune banquette, et où Monsieur Androuze interpelle leurs voisins sur lamour. Révélation sortie de nulle part, cest un vieux monsieur avec barbiche qui raconte son histoire, toute en tristesse sentimentale. Le contrôleur du tram, qui renverse par son arrivée lémotion ambiante, se laisse à son tour envahir par la spiritualité. Nous ne sommes pas ici dans une ville, mais dans un temple, où le narrateur dispense la vérité comme une parole bénie. Cela ne correspond à rien, mais nous touche, forcément.
De ces fantaisies invraisemblables, le plaisir de lecture nen sort pas pour autant diminué, car Ayroles na pas laissé son humour dans sa poche. Et lironie, constante, la bizarrerie des dialogues et des situations, font de la narration un objet de drôlerie froide particulièrement réussi.
Cest peut-être le meilleur album dAyroles à ce jour, après un passage à la forme longue un peu hésitant. Ses deux précédents récits sentaient un peu le creux, lhésitant. Ici chaque page semble avancer fermement sur un chemin quon refuse pourtant didentifier à notre place. Un des rares albums qui fait se sentir intelligent sans pourtant déguiser son plaisir.
Le dessin non plus ne sembarrasse pas de vraisemblance, privilégiant les personnages filiformes et stylisés ; les adolescents ont simplement des corps dadultes hydrocéphales, qui confinent au grotesque. Mais cela nempêche nullement une distance continue, une retenue, qui privilégie les plans objectifs et évite gros plans ou expressivité. Enfin, pour sa première réalisation en couleur, François Ayroles joue la carte du sobre, demi-teintes légères en ocre et beige.
Le bizarre de lintrigue passe donc en douceur, sans forcer, avec lillusion que peut-être, au fond, toutes ces absurdités seraient vraisemblables. Et que ce monde existe hors de limagination dun dessinateur poète.
Clément Lemoine ( Mis en ligne le 27/02/2007 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Enfer portatif de François Ayroles | | |
|
|
|
|