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| Les régionalismes ridiculisés | Entretien avec Jérôme Jouvray - Dessinateur de La Région
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Parutions.com : Votre album évoque divers indépendantismes qui, de la Corse au Pays basque, trouvent souvent un écho dans lactualité. Est-ce un sujet qui vous touche particulièrement ?
Jérôme Jouvray : Au départ, le choix de ce thème vient de notre expérience personnelle. Denis Roland, le scénariste, et moi, nous avons tous les deux habité en Alsace, et nous aimions bien nous moquer un peu de la culture autarcique assez répandue là-bas. De plus, Denis, qui est dorigine parisienne, habite à Mulhouse depuis quelque temps, et il éprouve certaines difficultés à shabituer à la mentalité ambiante, cette espèce desprit de clocher qui peut régner là-bas. Je crois que son scénario lui a aussi servi de défouloir !
Le traitement du sujet était dordre très général au départ, et notre intention encore plus légère. Mais petit à petit, et notamment sous le coup de divers événements qui se sont déroulés pendant la réalisation de lalbum, nous nous sommes rendus compte quil fallait aller plus loin dans le détail. Je pense notamment à lattentat meurtrier du McDonalds, perpétré par les indépendantistes bretons dans les Côtes dArmor, ou à la situation au Pays basque. Du coup, dans lalbum, nous avons placé des références de plus en plus précises. Nous voulions montrer que certains personnes pouvaient aller très loin dans la violence pour faire triompher leurs idées. Une phrase prononcée à lépoque par un militant mavait particulièrement frappé. Il disait : «Les bombes font partie du paysage de la Bretagne», vantant les attentats qui ne faisaient que des dégâts matériels. On a vu la suite.
En fait, nous avons voulu nous moquer du chauvinisme, du régionalisme, de lextrémisme, ou quils soient et quels quils soient. Doù linvention de cette Nation et de cette Région qui nont pas dexistence réelle.
Parutions.com : Dans votre album, personne nest épargné: les politiques, les extrémistes, les journalistes, les touristes. Est-ce une façon de renvoyer tout le monde dos à dos ?
Jérôme Jouvray : Ce qui est sûr en tous cas, cest que Denis et moi nous ne souhaitions pas prendre parti, désigner les bons et les méchants. Cest pourquoi nous avons imaginé cette caricature de tous, cette parodie généralisée.
Pour les journalistes, lidée est venue de mon frère, qui a fait des études dans ce secteur. Il nous parlait souvent des recettes quutilisent les journalistes pour faire du sensationnel avec pas grand-chose. Ces recettes ont été parfaitement compilées dans un ouvrage humoristique intitulé Le Journalisme sans peine. Denis, parfois énervé par le ton employé dans les journaux télévisés, a lu ce livre et sen est largement inspiré pour bâtir les propos des journalistes qui couvrent les événements de la Région.
Jajouterais aussi que nous ne voulions pas dune histoire classique avec un héros, une mission, etc. Denis a une culture essentiellement littéraire, il lit très peu de bandes dessinée. Il a donc du recul par rapport aux structures traditionnelles du récit. Voilà pourquoi il ma proposé cette histoire originale, où personne ne tire vraiment son épingle du jeu, où aucun personnage ne tire la couverture à lui.
Parutions.com : Pourquoi avoir choisi ce style de dessin, que lon peut qualifier de naïf ? Est-ce celui qui colle le mieux au traitement humoristique dun sujet sérieux ?
Jérôme Jouvray : Je suis daccord avec le qualificatif de naïf. La première influence qui saute aux yeux, cest le style Dupuy et Berberian. Mais je dois dire que jai également été élevé au dessin dHergé. Un nez rond, deux points pour les yeux, un trait pour la bouche : cest fou le nombre démotions que lon peut exprimer avec trois fois rien.
La couleur aussi, réalisée à lordinateur et en aplat par mon épouse, participe grandement de lesprit de la BD naïve. Cette façon de coloriser les dessins est beaucoup plus simple, beaucoup plus, directe que laquarelle ou lacrylique par exemple.
Cependant, le choix de telle ou telle technique de colorisation nest pas forcément dépendant de lhistoire elle-même. Je dirais même quil dépend davantage de mon esprit du moment. Par exemple, quand nous avons réalisé La Région, je venais dacquérir un ordinateur et nous avions envie den exploiter toutes les possibilités.
Parutions.com : Comment travaillez-vous avec le scénariste Denis Roland ?
Jérôme Jouvray : En étroite collaboration ! Denis me propose dabord un synopsis, sur lequel je fais mes remarques et mes suggestions. Une fois que nous nous sommes mis daccord, je réalise le découpage de lalbum, page par page. Puis Denis écrit le scénario précis et les dialogues. Mais il nintervient pas dans la mise en scène, dans la mise en image du scénario. Ce qui me laisse une grande liberté. Cest moi qui décide, par exemple, si je veux traiter telle ou telle scène en deux ou quatre pages. Et je dois dire que cest cette partie-là du travail qui mintéresse et mamuse le plus.
Parutions.com : Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous étiez sélectionné à Angoulême, pour le Prix Alph-Art du premier album ?
Jérôme Jouvray : Tout dabord, une grande fierté. Je lai appris en temps quasiment réel, sur un site Internet qui retransmettait les informations au fur et à mesure des nominations. Jai tout de suite téléphoné à ma famille, à mes amis. Cest dautant plus important que notre maison dédition, Paquet, est beaucoup moins connue que dautres. Jespère que la présence de La Région dans la sélection du jury va aussi leur donner un coup de pouce. On croise les doigts, maintenant, pour remporter le prix.
Propos recueillis le 10 janvier 2002
Thomas Bronnec ( Mis en ligne le 14/01/2002 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:La Région (tomes 1 et 2) de Jérôme Jouvray , Denis Roland
Ailleurs sur le web :Le site web de Jérôme Jouvray | | |
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