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Histoire & Sciences sociales -> Poches |
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''L'invraisemblable vérité'' | | | Jan Karski Mon témoignage devant le monde Seuil - Points 2011 / 8 € - 52.4 ffr. / 570 pages ISBN : 978-2-7578-2136-7 FORMAT : 11cmx18cm
Traduction de Céline Gervais-Francelle
Première publication française en mars 2010 (Robert Laffont) Imprimer
Story of a Secret State est rédigé et publié aux États-Unis en 1944. Anonymement traduit en français en 1948 (Éditions Self ; traduit dans plusieurs langues, lédition polonaise date de 1999), Mon témoignage devant le monde. Histoire dun État secret est réédité en 2004 (Éditions Point de Mire, préface Jean-Louis Panné ; le 30 avril 2010, Pascal Galodié publie Jan Karski, le "roman" et l'histoire - Suivi de documents, entretiens et articles de Jean-Louis Panné). La troisième édition française de louvrage, introduite et annotée par Céline Gervais-Francelle paraît le 8 mars 2010, en pleine polémique autour de lappropriation diverse de ce témoignage et la crainte de possibles dérives vis-à-vis de lHistoire (aujourd'hui en format poche).
Comme il le souligne à plusieurs reprises, lauteur de Mon témoignage
«ne raconte que ce que lui-même a vécu, vu, entendu». Aussi est-ce un grand plaisir de lire Karski «dans le texte», avec laccompagnement discret et érudit de Céline Gervais-Francelle. Cette dernière est maître de conférences honoraire dhistoire contemporaine à luniversité Paris I-Sorbonne. Elle est responsable de la commission Histoire de la Pologne de la Société française détudes polonaises. Chaque annotation résulte de recherches approfondies, précisément référencées.
Laspect le plus connu du passé du résistant catholique polonais (de son vrai nom Kozielewski, né à Lodz en 1914, mort à Washington en 2000) est dêtre le premier, en plein conflit mondial, à avoir témoigné de «linvraisemblable vérité» : lextermination des Juifs en Pologne par les nazis. Ce nest pas sa seule contribution. Son «témoignage
» rédigé à New York en six mois (de février à juillet 1944) ressemble à un passionnant roman daventures mais ici, il ne sagit pas de fiction. À peine certains noms ou faits ont-ils été masqués pour rester secrets. Alliant lhumour, voire lautodérision, à des analyses historiques, J. Karski sait captiver son public en racontant le vécu détaillé des années à peine écoulées avec un étonnant recul et un réel talent décrivain.
Des talents, il en possède bien dautres : à la veille de sa mobilisation en août 1939, il a achevé ses études de droit et de diplomatie, parle couramment anglais, français et allemand ; son service militaire lui confère le titre de lieutenant dans lartillerie montée. Il est de plus orateur aisé, sportif accompli, bel homme, dallure distinguée de surcroît, daprès ses photos. Aujourdhui, on parlerait de «surdoué». Mais pas plus que ses contemporains, il nest en mesure de prévoir lampleur ni la durée du désastre de la guerre qui paradoxalement exaltera et brisera son glorieux destin.
Fait prisonnier de lArmée Rouge dès les premières heures, il sévade et entre dans la résistance. En tant quémissaire politique du gouvernement en exil de son pays, ses mandats consisteront à porter la parole secrète alors que le gouvernement de son pays est en exil en France puis à Londres. Il transmettra aussi des rapports, des microfilms et de largent en franchissant les frontières par tous les moyens. En raison de capacités, notamment mnésiques, peu communes, il se voit confier des mandats périlleux qui le «remplissent de fierté». Arrêté et torturé par la Gestapo lors de lété 1940, il tente de mourir pour «échapper au déshonneur et à la honte de trahir» puis reprend son combat contre loccupant à travers des missions de plus en plus lourdes, tandis que la Résistance sorganise dans la durée.
En dépit de la répression massive, sinstalle en effet un «état clandestin», doté dun bureau hiérarchisé, dune presse, dune armée de lintérieur et dune école. Le rôle sacrificiel des femmes agents de liaison y est salué avec déférence et compassion. En 1942, lémissaire Karski sera envoyé à Londres via un long périple pour rencontrer son gouvernement et témoigner auprès des alliés anglais et américains de létat de la Résistance polonaise. Cest dans cette perspective que sera effectué le rapport sur le ghetto de Varsovie à partir des suppliques conjuguées des représentants des organisations juives (sioniste et bundiste) et surtout en ayant vu, à deux reprises comme pour mieux y croire, la «cité de la mort». Plus insupportable encore sera la «visite» du camp dextermination Izbica Lubelska où J. Karski est le témoin visuel, olfactif et auditif des corps déshumanisés et amoncelés dans les trains dont la seule destination est la mort programmée. Mais sans images pour preuve, il craint de ne pas être entendu. Lauteur du rapport aurait certainement apprécié la remarquable exposition «Filmer les camps» récemment proposée au Mémorial de la Shoah.
La rencontre à Londres avec le général Sikorski lui vaut une reconnaissance médaillée de son mérite. Il se dit «impressionné» par ses deux entrevues avec Anthony Eden. Reçu aussi par dautres responsables politiques, culturels et religieux, dont celui de la Commission des crimes de guerre des Nations Unies récemment créée, Jan Karski constate que les actes résistants polonais, noyés parmi dautres, nont pas le même écho à Londres quà Varsovie : «lEurope tout entière restait passive ou transigeait». La spécificité de la résistance polonaise, intolérante aux compromis, nest pas reconnue. Le 9 juin 1943, Jan Karski est à New York pour transmettre à nouveau sa requête auprès de nombreuses personnalités, des représentants des milieux juifs sionistes (dont le juge Felix Frankfurter souvent cité pour le «je ne vous crois pas» quil aurait prononcé). Le 28 juillet 1943 a lieu durant une heure quinze, en présence de lambassadeur, la rencontre avec «lhomme le plus puissant du monde, représentant la nation la plus puissante du monde». Le Président Franklin Roosevelt «semblait avoir tout son temps et être inaccessible à la fatigue». Il sest renseigné très précisément sur toutes les modalités de la résistance polonaise, sur la véracité des exactions des nazis envers les juifs. «De même que Sikorski, il voyait plus loin que son propre pays, sa vision embrassait lhumanité tout entière».
Mission terminée. Pendant plus dun quart de siècle, lEurope oublie J. Karski, ce personnage peu ordinaire, jusquà ce que Claude Lanzmann filme en 1978 son éprouvant témoignage sur les camps dans le cadre de Shoah (Cf. son ouvrage Le Lièvre de Patagonie paru en 2009 chez Gallimard, et lentretien sur publicsenat du 2 avril 2010 avec J.M. Colombani.). Il a alors 64 ans. Le public découvre sur lécran en 1985 un homme blessé, hanté par des images insoutenables dont la parole na pas changé le cours de lHistoire. Selon ses biographes, cités par Céline Gervais-Francelle, aux années de silence correspond aussi la difficile insertion daprès guerre : anti-communiste à lest, suspect de communisme à louest, il sest vu rayé de la carrière diplomatique.
Surgit alors lautre facette, celle grandiose du Phénix capable de reconstructions inattendues. Lors de la deuxième journée de tournage de Shoah, il se montre sous le jour du patriote héroïque, flatté davoir côtoyé les plus grands de ce monde. Cest ainsi quil a abandonné son patronyme pour devenir le Professeur Jan Karski, citoyen américain, universitaire en sciences politiques, reconnu et apprécié, auquel les honneurs justifiés seront enfin rendus. En 1982, J. Karski est élevé au rang de «Juste parmi les nations» suite à sa participation en 1981 à la «Conférence internationale des libérateurs des camps de concentration» organisée par Élie Wiesel et le Conseil américain du Mémorial de lHolocauste.
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 25/01/2011 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Jan Karski de Yannick Haenel Le Lièvre de Patagonie de Claude Lanzmann Jan Karski. Le ''roman'' et l'histoire de Jean-Louis Panné
Ailleurs sur le web :Lien vers l'entretien de Claude Lanzmann sur PublicSénat | | |
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