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Alexandrie sous les Ptolémées : monographie d’une ville fascinante | | | Pascale Ballet La vie quotidienne à Alexandrie - 331-30 avant J-C Hachette - Pluriel 2003 / 7.60 € - 49.78 ffr. / 287 pages ISBN : 2-01-279157-3 FORMAT : 11x18 cm
Ouvrage paru une première fois en 1999 (Hachette Littérature)
L'auteur du compte rendu: Perrine Cayron, après une hypokhâgne et une khâgne en Lettres classiques, a poursuivi son cursus en histoire. Elle est l'auteur d'un mémoire de maîtrise sur Jacob et sa maison aux temps carolingiens sous la direction d'Yves Sassier. Elle est actuellement enseignante. Imprimer
En 331 avant J-C, Alexandre fonde la ville qui porte son nom, avant de sengager au cur de lEmpire perse. A la mort du héros, la cité devient capitale du royaume des Ptolémées, ce jusquà la soumission romaine. De toutes les grandes villes de lAntiquité, elle a toujours exercé sur les riverains de la Méditerranée une fascination entretenue par des récits mystérieux. Ce livre propose une véritable anthropologie de la vie quotidienne à Alexandrie. Cest un ouvrage très nourri et bien construit, bien plus ambitieux que ne le laisse entendre son titre. En effet, le contenu est appuyé sur un corpus de sources solidement commentées et citées ; les notes critiques, bibliographiques ainsi que les annexes (figures, planches, cartes, arbre généalogique et lexique) sont irréprochables et fort utiles. On regrette seulement que lédition de poche ne soit pas plus nourrie en illustrations.
Louvrage débute par une approche concrète et géographique du site et de la situation de la ville (la ville principale, asty et son terroir environnant, chôra). Organisé autour de lintersection à angle droit dun cardo (nord-sud) et dun decumanus (est-ouest), lespace urbain se situe légèrement à lest du quartier des palais appelé basileia. La grande voie qui traverse Alexandrie dans le sens de la longueur part de Nécropolis et débouche sur la porte canopique. Les rues adjacentes, qui portent des noms, sordonnent ensuite selon ces axes majeurs, formant un quadrillage régulier, et délimitent des îlots dhabitation.
Une telle organisation urbaine nest pas inutile pour contenir la ville la plus dense de loikoumène. En effet, selon Diodore, le nombre des hommes libres sélève à trois cents mille personnes, chiffre auquel il faut ajouter les esclaves (catégorie la plus nombreuse). Alexandrie est une ville dense et cosmopolite. La grande diversité des habitants en témoigne ainsi que la multiplicité des langues parlées, même si la langue royale officielle et administrative est le grec (un grec de synthèse affranchi des dialectes régionaux). En effet, les rois Ptolémées ne connaissent que le grec sauf Cléopâtre VII qui possédait une connaissance approfondie des langues (grec, égyptien, hébreu, éthiopien, syrien parthe, mède). En raison de cette mosaïque de populations (grecs hellénophones, Egyptiens, sous-groupes des esclaves, juifs, soldats, marchands...), plusieurs souverains ont recouru à des interprètes et transcrit du grec, en hiéroglyphes et/ou en démotique (la langue égyptienne vernaculaire), les textes officiels, lorsque ceux-ci sadressent explicitement aux sujets égyptiens. Lexemple le plus célèbre de cette démarche est la Pierre de Rosette (196 avant J-C), texte officiel portant sur lintronisation pharaonique de Ptolémée V Epiphane, rédigé en ces trois langues.
Quant aux institutions de la cité, assez mal connues, nous apprenons que, hormis une inévitable confusion des pouvoirs municipaux et de ladministration royale, la municipalité fonctionnait avant tout comme une entité administrant et préservant la caste des citoyens, et tentait de parvenir à un délicat arbitrage de cette société multiculturelle où respecter et suivre le droit de chaque cité dorigine semblait impossible.
En tant que capitale de lEgypte lagide, Alexandrie sidentifie au roi et ce dernier y prend sa pleine dimension de souverain, symbolisant la présence gréco-macédonienne en Egypte. Cest là que résident les Ptolémées et leur cour. En effet, le roi Ptolémée est à la fois roi macédonien et roi égyptien, cest-à-dire pharaon. Cette ambivalence sexprime ainsi : le souverain reste étranger à la culture millénaire de ses possessions égyptiennes, il adopte cependant la titulature (cinq noms à la portée théologique précise) et les regalia des pharaons. A partir de Ptolémée V Epiphane (204-180), les rois ont même probablement pris possession du trône et furent couronnés pharaons à Memphis. Mais lexpression égyptienne de la royauté et de ses rituels sexerce avant tout en province. A Alexandrie, le pharaon reste dans lombre du basileus macédonien (p.59).
Alexandrie est ensuite un microcosme pour les lettrés et les savants : elle agit comme un phare culturel et scientifique, avec ces deux pôles urbains : la Bibliothèque et le Musée, à proximité des basileia.
La cité sest également imposée par la vitalité de ses cultes. Dès sa fondation, elle est investie par les rites et les sanctuaires grecs. Ainsi, le panthéon des Hellènes côtoie de nouvelles formes dexpressions religieuses. Linstitution du culte des souverains et les adaptations à la fois originales et diverses de la rencontre des dieux grecs et des dieux égyptiens font partie de ces nouvelles pratiques. Le culte des souverains est lune des composantes essentielles de la religion alexandrine. Le premier des Ptolémées, Ptolémée Ier Sôter (305-282), fonde le culte dAlexandre divinisé, puis Ptolémée II Philadelphe institue en 279-278, celui de son père et de sa mère. Ce culte dynastique est à lorigine de fêtes religieuses fastueuses et de magistratures sacerdotales dune extrême importance politique.
Lavant dernier chapitre est consacré à la vie quotidienne. Donnant son titre à louvrage, il est principalement centré sur lhabitat alexandrin ainsi que sur lhygiène, lalimentation et les vêtements.
Parmi les détails des rythmes de la vie, il faut insister sur la place capitale de léducation des jeunes filles et des jeunes garçons et sur la fréquentation du gymnase et de la palestre, patronnés par les dieux Hermès et Héraklès. Le grand Gymnase est situé en centre ville, près du carrefour des deux grandes artères et du quartier royal. Et même sil ne peut être comparé aux célèbres établissements athéniens, tel le Lycée fondé par Aristote, véritable école philosophique, il occupe une place de premier choix dans lhistoire de la ville sous les derniers Ptolémées, comme théâtre dévénements politiques majeurs. En effet, cest dans ce lieu quen 34 avant J-C Antoine et Cléopâtre font le testament de leurs royaumes et que plus tard (après la bataille dActium en 31 avant J-C) Octave proclame la libération de la ville et lannexion de lEgypte à lEmpire romain.
Cet ouvrage dont, la qualité et le contenu viennent confirmer la primauté de la ville en Méditerranée, est une monographie bien conduite, avec une volonté et un souci dexhaustivité atteints. Le ton et lécriture sont très plaisants, la façon daborder les thèmes captivante. Cette plume vivante restitue avec talent une activité culturelle, une vitalité et une diversité qui furent bâties sur lhéritage dAlexandre et qui suscitèrent longtemps encore après la chute de la ville, ladmiration romaine.
Perrine Cayron ( Mis en ligne le 10/11/2003 ) Imprimer
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