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Histoire & Sciences sociales -> Poches |
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L’Histoire croise les mémoires pour le meilleur | | | Sarah Farmer Oradour, 10 juin 1944 - Arrêt sur mémoire Perrin - Tempus 2007 / 8.50 € - 55.68 ffr. / 314 pages ISBN : 978-2-262-02664-6 FORMAT : 11x18 cm
Première publication en mai 2004 (Perrin).
Lauteur du compte rendu : Rémi Luglia, professeur agrégé dHistoire et interrogateur en deuxième année dans une classe préparatoire commerciale, est doctorant à Sciences-Po Paris où il mène une recherche sur lhistoire de la protection de la nature en France de 1854 à nos jours à travers le mouvement associatif. Imprimer
On a longtemps nié que la mémoire puisse être un objet dhistoire. Le regretté Georges Duby est venu nous asséner la preuve du contraire avec son maître-ouvrage Le dimanche de Bouvines. A partir dun récit événementiel, celui de la bataille de Bouvines qui a vu le 27 juillet 1214 Philippe-Auguste vaincre Ferrand comte de Flandre et Othon IV empereur du Saint-Empire, il sest attaché à décrypter les différentes strates de construction dune mémoire en grande partie nationale.
La somme que nous livre Sarah Farmer sur Oradour est de cette dimension. A partir des événements terribles de cette journée de juin, elle analyse la confection dune mémoire et la construction dun site. Le plan de cet ouvrage est clair et simple : le lecteur est invité à suivre une spirale chronologique ascendante qui met en lumière les différentes phases définies par lauteur. Lécriture est précise, claire. Le langage est celui dune historienne qui maîtrise parfaitement les méthodes et usages exigeants de sa discipline. On peut en prendre pour preuve les notes qui parsèment les paragraphes. Toujours précises et jamais superflues, elles identifient clairement les sources et apportent des compléments bienvenus. La bibliographie présente à la fin de louvrage donne pleinement satisfaction en séparant les sources utilisées (inventaire fourni) et les livres de chercheurs. On peut regretter simplement que cette deuxième partie de la bibliographie ne soit pas commentée.
Sarah Farmer commence par nous présenter «le massacre». De manière concise mais précise et humaine, elle nous raconte les événements du 10 juin 1944 qui ont conduit un bourg du Limousin à être rayé de la carte : 642 femmes, enfants et hommes sont exécutés. Lauteur ne commet pas lerreur de ségarer dans la recherche dune raison à ce crime : beaucoup de thèses, parfois très farfelues, ont été dites et écrites à ce sujet. Tel nest pas le propos de S. Farmer. Par contre, elle contextualise ces événements en nous expliquant ce quétait Oradour au début de la guerre, un gros bourg rural limousin.
Le deuxième chapitre sintéresse à lérection dOradour comme symbole de la France victime innocente de la barbarie nazie. Sarah Farmer décrit les événements qui ont suivi la destruction dOradour : annonce et connaissance du massacre, envoi de secours et dautorités, utilisation par Vichy, la Résistance et la France Libre, diffusion de la nouvelle dans toute la France. Au-delà dune simple description, elle analyse ces faits comme des tentatives par chacun de ces acteurs dimposer sa propre vision des événements dOradour et donc une certaine mémoire. Dautre part, en les remettant dans le contexte de la Libération du territoire français mais aussi de laction de la division SS «Das Reich», lauteur démontre que le cas dOradour est loin dêtre isolé (Tulle, Mouleydier, Mussidan, Dortan, La Bresse, Maillé ont aussi connu des représailles sanglantes) et explique pourquoi Oradour va être détaché du contexte historique et érigé en témoin du martyre national.
Dans son troisième chapitre, Sarah Farmer continue sa progression chronologique et retrace la constitution du village détruit dOradour en site de mémoire et la nécessité partagée par les survivants, réunis dans lANFM, et lEtat de le conserver tel quel pour «entretenir le souvenir». Lauteur nous invite ensuite à parcourir le site mémorial et commente chacun des choix effectués. En 1953, événement majeur pour les survivants, se déroule le procès de Bordeaux qui juge des soldats SS allemands et alsaciens. Petit à petit, on voit sopposer deux provinces françaises, le Limousin qui souhaite une condamnation exemplaire et lAlsace qui vit le douloureux problème des «malgré-nous», ces Alsaciens enrôlés de force par larmée allemande. Derrière ce débat se profile des récupérations politiques : nous sommes au plus fort de la Guerre Froide. Tout ceci est finement analysé par lauteur. Enfin, aboutissement de la perspective chronologique, Sarah Farmer explore la renaissance de la vie dans le nouveau bourg dOradour, construit à quelques dizaines de mètres des ruines. Elle montre comment la mémoire des survivants et leur volonté de deuil va structurer longtemps la vie sociale et laspect du nouveau village.
Nous avons ici un livre passionnant et extrêmement documenté qui, au-delà des événements dramatiques du 10 juin 1944, nous donne une vision dune amplitude inégalée sur ce drame et les constructions mentales qui en ont été faites jusquà nos jours.
Rémi Luglia ( Mis en ligne le 06/07/2007 ) Imprimer
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