| Eric Alary Bénédicte Vergez-Chaignon Gilles Gauvin Collectif Les Français au quotidien - 1939-1949 Perrin - Tempus 2009 / 11 € - 72.05 ffr. / 608 pages ISBN : 978-2-262-03023-0 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en août 2006 (Perrin)
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris.
Eric Alary collabore à Parutions.com. Imprimer
Sil est bien admis que la Seconde Guerre mondiale démarre en 1939 il faut bien considérer la «drôle de guerre» comme un démarrage en douceur... , on peut se demander à bon droit quand est-ce quelle se conclut pour lhomme de la rue ? Sans parler du long remord de Vichy, la simple vie de tous les jours, lapprovisionnement des magasins, le rationnement, les attitudes, le regard des autres, le moralisme ambiant, le souvenir, la honte
tout cela ne sefface pas dun trait de plume au bas dun traité, et le départ des Allemands na pas signifié, dans limmédiat, le retour à la prospérité insouciante de lavant-guerre. Pas «dannées folles» cette fois-ci, mais plutôt un provisoire qui dure et simpose jusquà la fin des années 40, prélude à la société de consommation quon aperçoit déjà outre-atlantique.
Cest en partant de ce constat, appuyé sur le témoignage des anonymes noyés dans les archives, quune équipe de jeunes historiens talentueux sest lancée dans une synthèse stimulante de ce que fut la vie des Français pendant la guerre et laprès-guerre. Sujet rebattu ? Le quotidien des grands comme des humbles, les petites difficultés nattirent pas forcément le regard des historiens, plus à laise dans la théorisation nécessaire que dans le tableau impressionniste ou réaliste, un peu comme le faisait naguère avec talent Yves Pourcher dans Les Jours de guerre (sur la Grande Guerre, chez Plon). Aussi faut-il demblée saluer un ouvrage qui, dans la foulée de la bien nommée Histoire des choses banales (D. Roche, Fayard), remet au goût du jour cette question peut-être un peu désuète, mais indispensable au travail historique : comment vivait-on en ce temps-là ?
Déjà auteur dun ouvrage essentiel sur la ligne de démarcation, bon connaisseur de lhistoire de la Seconde Guerre mondiale, lhistorien Eric Alary sest entouré dune équipe choisie pour répondre à cette question. Bénédicte Vergez-Chaignon, biographe du docteur Ménétrel et, tout récemment, auteur dune magnifique étude sur lépuration vue depuis la prison de Fresnes, quitte Vichy et ses antichambres pour sattacher aux foules. Quant à Gilles Gauvin, ses travaux sur la Réunion le désignaient pour étendre à lEmpire colonial une question souvent restreinte à la France métropolitaine. Une équipe à la fois jeune et chevronnée.
Louvrage, fort de plus de 600 pages, se décline en 8 parties, qui sont autant détapes dans cette longue décennie. On avance à la fois chronologiquement - en partant de la Drôle de guerre pour aboutir au début des années 50 - et thématiquement autour de quelques grands thèmes (les réactions à la défaite et à loccupation, la collaboration ou le refus, les loisirs et la dure réalité, les contrastes sociaux, la libération, les enjeux de mémoire
) au rythme de titres généralement bien tournés, discrètement problématisés. Chaque chapitre alterne une présentation générale de la période et de la situation (militaire, politique, culturelle), entrecoupée de quelques jugements de contemporains illustres ou anonymes, puis lon entre rapidement dans le vif du sujet, à savoir le quotidien et ses incertitudes, laccommodation pour reprendre la formule efficace de Philippe Burrin - avec les faits. Passant des archives publiques aux citations dauteurs, des récits de témoins interviewés aux articles de presse, des ouvrages pour enfants aux romans adultes, des monographies érudites aux formules rapides, les auteurs posent toutes les questions, même les plus banales (qui ne sont pas forcément les plus aisées) :
Comment vit-on la défaite et larrivée des Allemands, y compris aussi loin que dans les colonies et même au bagne ? Comment loccupant se comporte-t-il ? Est-il aussi «Korrekt» quil le dit ? Quelle attitude à son égard ? Pourquoi choisir Vichy plutôt que Lyon ? Comment se passe linstallation ? Et le ravitaillement ? Comment vit Pétain à lhôtel du parc ? Et la résistance : à quoi ressemble la journée type de Jean Moulin ? ou dun détenu politique ? Et, plus prosaïquement, que mange-t-on durant loccupation ? Comment communique-t-on avec les parents, les amis de zone libre ? Comment trouver du pain durant lexode, alors que le manque délectricité oblige les boulangers à pétrir leur pain à la main ? Et combien coûtent le beurre, le camembert (un luxe) ? Comment se distraire, aimer ? Quest-ce quon lit, quest-ce quon écoute alors ? Où se loger à la Libération ? Que fait lEtat, le GPRF ? Que reste-t-il de lEmpire, de la France, des Français, de la société en général, de léconomie après quatre années noires ? Comment se présente lavenir en métropole et dans les colonies (toutefois, spécialité oblige, Gilles Gauvin se penche plus particulièrement sur le cas réunionais)?
Bref, des questions simples, mais dont on ne trouve pas toujours facilement la réponse dans une historiographie immense, où le témoignage et la monographie ne sont pas dun abord toujours évident pour les non spécialistes.
La lecture est aisée : louvrage, outre quil est bien présenté, se «laisse lire» en ce sens quune fois le chapitre commencé, on avance sans peiner ni se heurter à des discussions trop académiques. La vertu pédagogique de lensemble est manifeste et le ton traduit, si lon peut dire, lémergence dune nouvelle génération dhistoriens sur la question, qui sattache à décrire un quotidien que nombre de lecteurs, aujourdhui, peinent à imaginer, à lheure dinternet et de la mondialisation. Le style est à la fois sobre et très accessible : il sagit clairement dune synthèse destinée à un grand public érudit autant quaux étudiants et chercheurs. Car la dimension «recherche», si elle nest pas immédiatement apparente, est bien réelle, ne serait-ce que dans la masse des références citées. On attend en général dun ouvrage dhistoire sérieux quil dispose dun «appareil» scientifique probant : notes, bibliographie et sources, index, voire annexes documentaires. Cest ce qui permet aux auteurs de parler avec autorité du sujet. Encore une fois, sur ce chapitre comme sur dautres, louvrage se révèle de très bonne tenue. Les références abondent, la démonstration est efficace.
Au final, on lit avec plaisir cet ouvrage qui alterne très pédagogiquement grande et petite histoire, et offre dune période quon pense parfois très labourée une vision non pas neuve, mais cohérente et riche dans sa complexité.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 21/04/2009 ) Imprimer
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