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Noir Passage
Claude Fohlen   Histoire de l'esclavage aux Etats-Unis
Perrin - Tempus 2007 /  8.50 € - 55.68 ffr. / 342 pages
ISBN : 978-2-262-02677-6
FORMAT : 11,0cm x 17,5cm
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Écrire l’Histoire est une discipline qui requiert clarté d’analyse et fluidité stylistique. Si ces deux qualités se retrouvent conjuguées en un même ouvrage, on peut gager que l’objectif est atteint : rendre au passé une parfaite lisibilité.

L’étude que Claude Folhen a consacrée en 1997 à la problématique de l’esclavage aux États-Unis, et qui vient d’être rééditée en format poche, est à maints égards une référence. Basé sur le fruit des recherches les plus récentes menées outre-Atlantique, ce travail offre une approche exhaustive d’un processus socio-économique qui fit s’emballer l’importation par milliers d’Africains sur le Nouveau Monde.

La justification de la création de cette classe servile n’a sans doute jamais été avancée avec autant de franchise cynique que par le Sénateur de Caroline du Sud James Henry Hammond, vers 1820 : «Dans tous les systèmes sociaux, il doit y avoir une classe pour faire les petits boulots et accomplir les corvées de l’existence. Autrement dit, une classe de faible niveau intellectuel et de petite qualification. Ce qu’on lui demande, c’est la vigueur, la docilité, la fidélité. Cette classe est indispensable, sinon vous n’auriez pas l’autre classe, celle qui conduit le progrès, la civilisation et le raffinement. […] Heureusement pour le Sud, il a trouvé cette race à portée de main… Nous les utilisons dans notre intérêt et les appelons esclaves.»

Fohlen souligne, entre autres vérités, que l’esclavagisme est un invariant de la hiérarchie sociale depuis la nuit des temps, que le servage de mise au Moyen Âge ou dans la Russie tsariste n’était rien qu’un de ses innombrables avatars et qu’il n’est pas l’apanage de la seule civilisation occidentale. La spécificité du contexte étasunien réside cependant dans un paradoxe aussi simple à énoncer que difficile à débrouiller : comment la première démocratie moderne, tenante d’une culture politique libérale, a-t-elle pu laisser perdurer un ordre social ouvertement en contradiction avec ses principes fondateurs ?

Fohlen rappelle l’essor que prit au XVIe siècle l’afflux de la main-d’œuvre noire sur le continent nord-américain. Plus facilement corvéables que des salariés blancs engagés sous contrat légal, les Noirs firent l’objet d’un commerce de matière première humaine bien rôdé, notamment grâce à la très «efficace» société maritime de la Royal African Company. Arrachés à leur sol d’origine, ces forçats malgré eux débarquaient sur une terre vierge et devaient s’y livrer aux tâches les plus ardues pour le compte d’une population qui, au-delà du refus de tout métissage, prétendait maintenir ses serfs dans une condition avilissante.

Fohlen revient sur les modalités des transactions et des maquignonnages, des navigations triangulaires (ou «circuiteuses») effectuées par des bateaux qui empruntaient ce qu’on nommait à l’époque «le Noir Passage» entre Europe, Afrique et Amérique. Mises au point opportunes : si le Sud avait le monopole de la détention d’esclaves, le Nord tirait quant à lui surtout profit de leur traite ; et, toutes proportions gardées avec leurs équivalents blancs bien sûr, des Indiens d’Amérique du Nord comme les Cherokees furent esclavagistes ! Après avoir été dévolus aux plantations relativement prospères de tabac et de riz, les esclaves furent assignés à la récolte de ce qui allait devenir un élément moteur de l’économie occidentale, le coton, produit massivement aux États-Unis et manufacturé dans les usines de la naissante révolution industrielle anglaise.

Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, la «question noire» commence à poindre, sur le Vieux Continent, dans l’esprit des philosophes des Lumières, mais également sur les terres mêmes de l’asservissement, au sein de sectes protestantes puritaines telles que les Quackers ou les méthodistes. C’est d’ailleurs à ces dénominations participant du «Grand Réveil» que l’on doit l’ébauche des premiers discours authentiquement abolitionnistes.

Et là, on n’est guère qu’au tiers de l’ouvrage ! C’est dire si ce livre recèle une mine d’or de renseignements sur son sujet, auquel il réserve toujours un traitement nuancé. Il permet ainsi au lecteur dont l’érudition sur les States au XIXe s. se limiterait à la fréquentation amusée des Tuniques bleues, d’affiner le clivage traditionnel entre les bons-Yankees-forcément-briseurs-de-chaînes et les méchants-Sudistes-fouetteurs-de-bois-d’ébène. L’attitude de Lincoln, souvent dressé en martyr de la cause des opprimés, en prend à ce propos un sacré coup, lorsque l’on lit cette lettre par lui signée durant la Guerre Civile: «Mon objectif principal dans cette lutte est de sauver l’Union, non de sauver ou de détruire l’esclavage. Si je pouvais sauver l’Union sans libérer aucun esclave, je le ferais ; si je pouvais la sauver par la libération de tous les esclaves, je le ferais ; et si je pouvais la sauver en en libérant certains et en laissant les autres de côté, je le ferais également. Ce que je fais au sujet de l’esclavage et des gens de couleur, je le fais parce que je pense que cela aide à sauver l’Union.»

Enfin, L’Histoire de l’esclavage aux Etats-Unis n’est pas exclusivement la chronologie des faits, des révoltes, des amendements à la Constitution qui ont émaillé cette douloureuse épopée. Elle sait laisser une place au regard de l’ethnographe (par exemple quand est évoqué le train de vie dans l’exploitation sudiste type), du démographe (Fohlen sait synthétiser avec pertinence les mouvements migratoires, les courbes de natalité ou de mortalité et opérer les liens idoines avec les indices de productivité) ou encore de l’historien des mentalités et des idées (des passerelles sont jetées vers la littérature pro- ou anti- abolitionniste, les soubassements religieux du débat et la nécessaire réflexion sur le racisme, lié aux problèmes d’assimilation et motif des situations d’apartheid).

Bref, un remarquable outil qui nous offre d’aborder, par un de ses aspects les moins glorieux, les racines d’une culture qui nous est omniprésente et pourtant si méconnue.


Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 23/07/2007 )
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