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Hold up sur l’imaginaire : une nouvelle arme de distraction massive
Christian Salmon   Storytelling - La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits
La Découverte - Poche 2008 /  9 € - 58.95 ffr. / 247 pages
ISBN : 978-2-7071-5651-8
FORMAT : 12,5cm x 19cm

Première publication en octobre 2007 (La Découverte - Cahiers libres).

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Christian Salmon, écrivain, auteur de Verbicide, Du bon usage des cerveaux humains disponibles (Climats, Paris, 2005), est né en 1951 à Marseille. Il entre au C.N.R.S. en 1982, en qualité d’assistant de Milan Kundera à l’EHESS. Critique littéraire à Libération et au Nouvel Observateur, il prend en 1991 la direction du Carrefour des littératures européennes de Strasbourg et fonde en 1993, avec l’appui de plus de trois cents intellectuels, le Parlement international des écrivains. Son nouveau livre s'en prend à une nouvelle technique du néo-management qu'on appelle Storytelling, ou l'art de raconter des histoires...

Qu'est-ce que le Storytelling ? Il s’agit de la mise en fiction de la réalité. C'est une technique inventée aux États-Unis dans les années 1990, qui a été déclinée dans le monde du management sous toutes les coutures. "Elle mobilise des usages du récit très différents, du récit oral tel que le pratiquaient les griots ou les conteurs jusqu'au digital storytelling, qui pratique l'immersion virtuelle dans des univers multisensoriels et fortement scénarisés". En clair, cette technique vient de la narratologie, inventée dans les années soixante par Tzvetan Todorov, et des analyses structurales du récit faites par Roland Barthes dans un essai fort célèbre. Il y a aussi le développement à la base du marketing et à cet égard, l'auteur cite le livre du père des relations publiques et du marketing, Edward Bernays, Propaganda, Comment manipuler l'opinion en démocratie, écrit en 1928 et réédité récemment (La Découverte, Zones, 2007).

Voilà comment Christian Salmon décrit plus en détails la chose : "L'essor du storytelling ressemble en effet à une victoire à la Pyrrhus, obtenue au prix de la banalisation du concept même de récit et de la confusion entretenue entre un véritable récit (narrative) et un simple échange d'anecdotes (stories), un témoignage et un récit de fiction, une narration spontanée (orale ou écrite) et un rapport d'activité. Les usages instrumentaux du récit à des fins de gestion ou de contrôle aboutissent à dénoncer le contrat fictionnel (qui permet de discerner la réalité de la fiction et de suspendre l'incrédulité du lecteur, le temps d'un récit) en imposant à des "lecteurs" des "expériences tracées", c'est-à-dire des conduites soumises à des protocoles d'expérimentation".

Nous sommes passés au fur et à mesure d’une crise des marques à ce storytelling, donc de la brand image (image de la marque) à la brand story (histoire de la marque). Certes, il s'agit toujours de représentation, de créer un univers mais aussi maintenant de raconter une histoire, une espèce de conte qui suivra la marque tout du long. Il est vrai qu’en passer par la fiction permet de «faire rêver» le public et de l’amener ainsi à adhérer, émotionnellement parlant, à une marque. On sait bien que raconter une histoire fait plus spontané, plus vivant et que ceux qui savent raconter une histoire justement se mettent le public dans la poche. Il s’agit ici précisément de cela. Pour un peu, on associera cette technique à une régression infantile comme à l’époque où nos parents nous racontaient des histoires… pour nous endormir. Là, il s’agit aussi du joueur de flûte d’Hamelin, cette vieille légende allemande, transcrite notamment par les frères Grimm.

Sur ce point, Christian Salmon fait une distinction majeure en séparant les romans où la fiction travaille la réalité pour en révéler la complexité et l'ambiguïté et ces "stories" qui recouvrent cette même réalité d'histoires destinées à l'occulter. "Les grands récits qui jalonnent l'histoire humaine, d'Homère à Tolstoï et de Sophocle à Shakespeare, racontaient des mythes universels et transmettaient les leçons des générations passées, leçons de sagesse, fruit de l'expérience accumulée. Le storytelling parcourt le chemin en sens inverse : il plaque sur la réalité des récits artificiels, bloque les échanges, sature l'espace symbolique de séries et de stories. Il ne raconte pas l'expérience passée, il trace les conduites et oriente les flux d'émotions. Loin de ces "parcours de la reconnaissance" que Paul Ricœur décryptait dans l'activité narrative, le storytelling met en place des engrenages narratifs, suivant lesquels les individus sont conduits à s'identifier à des modèles et à se conformer à des protocoles". La différence est de taille. Il est certain que le storytelling repose sur la capacité de l’être humain de créer des paravents illusoires pour ne pas voir la réalité comme elle est et ainsi se construire des paradis enchanteurs ou croire à ceux qui les racontent.

L'essai de Christian Salmon s'attache à décrire le processus à l'oeuvre. De chapitre en chapitre, il décrit ainsi le marketing et ses techniques pour vendre un produit grâce au storytelling, retourne à l'invention du storytelling en charge de mobiliser les émotions, montre sans doute trop succinctement comment le capitalisme a muté, comme l'avaient fort bien analysé Luc Boltanski et Eva Chiapello dans Le Nouvel esprit du capitalisme (Gallimard) en relevant qu’il est devenu flexible, progressiste, adaptable, innovant, communicant. Christian Salmon fait aussi un crochet sur l’impact du storytelling dans les discours politiques, la convergence entre les studios de production d'Hollywood et l'armée aux États-Unis...

Voilà un livre intéressant où l’on apprend un certaine nombre de choses. Le point le plus litigieux est que le livre de Christian Salmon se perd parfois dans des digressions au lieu de maintenir une analyse plus fouillée et plus rigoureuse concernant le phénomène. Parfois aussi, la structuration de son essai est un peu faible et demanderait une plus grande concision ou un style moins relâché. C’est fort dommage. Certes, il est bien documenté en général et prend en compte les livres qui parlent ou qui dissertent sur le sujet mais on aurait aimé une description plus concrète de ce storytelling. Notamment en France avec des exemples à la clef car le livre reste souvent campé outre-Atlantique même s’il est vrai que le storytelling a beaucoup d’impact aux États-Unis. En tout cas, un livre qui est plutôt une bonne introduction à cette nouvelle arme de distraction massive du néo-management.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 04/02/2009 )
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