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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Claude Calame L'Eros dans la Grèce antique Belin - Poche 2009 / 8 € - 52.4 ffr. / 311 pages ISBN : 978-2-7011-5175-5 FORMAT : 11cm x 17,5cm
L'auteur du compte rendu : Après des études dhistoire-géographie à lUniversité du Littoral, Gaëlle Deschodt est allocataire monitrice à Paris 1 où elle prépare une thèse sur le visible et linvisible dans la cité grecque. Imprimer
Ce livre de Claude Calame est une réédition de poche dun titre publié en français en 1996, traduit dun original en italien en 1992 sous le titre I Greci e leros : Simboli, pratice, luoghi. Il propose un parcours dans les sources grecques, principalement littéraires, de la poésie mélique archaïque aux théories philosophiques et orphiques et aux romans, à travers la figure de lEros, à la fois divinité et puissance de lamour. Lauteur mène une analyse discursive de cette figure divine avec ses modes daction, et une physiologie relative à son champ dintervention. Il se place à la confluence dune anthropologie de la littérature pour percevoir le réseau des relations sociales quinstitue le pouvoir dEros, et dune anthropologie de la culture pour comprendre la construction des rapports sociaux de sexe, autrement dit le genre. Ces analyses sont replacées dans une perspective historique pour percevoir la dimension pragmatique de la poésie.
Il se divise en cinq parties intitulées «Topiques dEros», sur la poésie archaïque, mélique et épique, à partir des caractéristiques de lénonciation ; «Pratiques symboliques dEros», opposant la fonction pragmatique de la poésie mélique dont le but est la séduction, et celle de la poésie alexandrine, fondée sur la réciprocité et labsence de fonction pédagogique ; «Eros dans les institutions», montrant comment lhomophilie est une propédeutique, une intronisation aux relations sociales et sexuelles ; «Espaces dEros», réflexion sur les lieux daction et leurs conséquences en termes de statut ; «Métaphysiques dEros» présentant les conceptions des philosophes sur Eros et sa place dans la cosmogonie grecque, il devient origine et aboutissement de lunité perdue.
Lauteur mène une réflexion sur les relations damour en Grèce ancienne, à la fois pour les personnes de même sexe biologique, que, mais dans une mesure moindre, pour les personnes de sexe différent. Une grande partie du livre aborde la trop fameuse «homosexualité grecque», que lauteur appelle «relation dhomophilie» pour bien montrer quelle est une relation temporaire à caractère pédagogique entre un jeune garçon et un homme adulte.
Spécialiste de langue et littérature grecques, Claude Calame fait un détour par les images, en repérant une iconographie de lamour liée aux marques dexcitation sexuelle et à la figuration dEros, dans la céramique attique dès les débuts de cette imagerie vers 530, jusque 470, correspondant à la fin de la poésie mélique. Or, dans la céramique attique, la représentation dEros se développe fortement à partir du milieu du Ve siècle, en particulier dans les représentations à caractère nuptial. Le parcours dans les images, trop rapide, ne montre pas suffisamment la diversité des scènes, le langage propre de ce type de source et le lien avec leur support. Lauteur met en parallèle les scènes daccouplement «hors norme» et la poésie du blâme : lobscénité deviendrait dérision. Il se demande si l'on peut attribuer à liconographie du banquet une fonction de critique et de dérision sociale.
Trois idées forces parcourent tout le livre. Eros apparaît fondamentalement comme un intermédiaire. Son action nest pas liée à la nature sauvage, mais aux espaces intégrés du territoire civique. Elle montre le passage entre deux états de sexualité, tout en réfléchissant au lien entre espace et statut social et physique.
Le fameux débat actif/passif est abordé. Lasymétrie des relations dhomophilie ne peut pas être interprétée en termes de passif/actif. Une forte réprobation existe de la passivité de lhomosexuel efféminé comme le montre Aristophane. Mais, laccusation de sodomie est une sorte dinjure générique, qui peut être portée également contre les femmes. Ce qui est en jeu dans ce débat, cest moins le caractère homosexuel de la relation que la passivité du partenaire se soumettant au coït anal. La passivité nest pas un trait de distinction de lasymétrie de la relation homophile, ni celui de la différence de genre masculin/féminin. Lanomalie ne réside pas dans la relation de même sexe biologique, mais dans lacceptation du coït anal, jugé infamant et contre-nature, surtout pour un citoyen qui vend son corps. Cette opposition ne coïncide pas avec la polarité masculin/féminin, ni jeune/adulte.
Enfin, toute une réflexion sur les genres sous-tend le livre. Lauteur montre quen termes dexpression de lamour, la distinction homme/femme, homosexualité/hétérosexualité na pas de sens, les hommes et les femmes ayant le même langage vis-à-vis dEros. De même, les distinctions entre hétérosexualité et «homosexualité» ou pratiques «homophiles» ne correspondent pas à la division norme/déviance. Dans ce jeu dynamique, les catégories élaborées par lanthropologie contemporaine sur la sexualité perdent de leur pertinence. Il faudrait alors définir de façon plus pertinente les termes ou créer de nouveaux concepts. Ce que lauteur na pas fait quand il a écrit le livre il y a une quinzaine dannées.
Ce livre est une simple réédition sans mise à jour. Il aurait été profitable que la bibliographie soit actualisée pour montrer limportance des travaux autour des questions de genre, de construction sociale de sexe ces dernières années, suscités notamment par la première publication de ce livre.
Gaëlle Deschodt ( Mis en ligne le 06/10/2009 ) Imprimer
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