| Isabelle Jouteur Monstres et merveilles - Créatures prodigieuses de l'Antiquité Les Belles Lettres - Signets 2009 / 13 € - 85.15 ffr. / 233 pages ISBN : 978-2-251-03007-4 FORMAT : 11cm x 18cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Inter-universitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Le septième volume de la collection «Signets» des Belles Lettres qui regroupe des textes antiques grecs et latins sur un sujet particulier, avec une courte présentation pour chacun est consacré aux monstres et merveilles de lAntiquité. Les textes ont été réunis par Isabelle Jouteur, spécialiste de poésie latine et maître de conférences à lUniversité de Poitiers. Le recueil est précédé dun entretien avec Gilbert Lascault, professeur émérite de philosophie de lart à lUniversité Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur entre autres ouvrages du classique Le Monstre dans lart occidental (Klincksieck, 1973). Il définit le monstre comme la création, par limagination humaine, dun être matériel que son créateur na pas pu rencontrer. Aristote définissait le monstre comme une distance à la nature. Quoi quil en soit, le monstre est toujours à la fois troublant, séduisant et inquiétant, souvent hybride.
La première partie envisage les monstres comme des êtres primordiaux, des forces hostiles liées au chaos. Dès Hésiode, on voit Gaïa, la Terre-Mère, enfanter des êtres prodigieux comme les Cyclopes, les Cent-Bras ou les Géants, sans parler de tous les monstres engendrés par son effroyable dernier-né Typhon et Echidna, la Femme Vipère : la Sphinx, la Chimère, Cerbère, lhydre de Lerne ou le lion de Némée. Chez Lucrèce, on trouve une conception assez analogue des monstres appréhendés sous langle dune gestation imparfaite imputable aux premiers essais dune nature aussi spontanée quanarchique. Ces êtres primordiaux sont souvent hostiles à lhomme, comme les monstres de lOdyssée (Polyphème, les Sirènes, Charybde et Scylla
). Lexistence dêtres monstrueux apparaissant ponctuellement est considérée ensuite par les médecins, philosophes ou historiens comme un dérèglement de la nature.
La seconde partie envisage les monstres dans leurs liens avec les épreuves et rencontres initiatiques. La naissance de monstres faisait partie des prodiges avertissant de la volonté divine, surtout à Rome on ne citera que lexemple des hermaphrodites jetés à la mer. La rencontre entre lhomme et le monstre est rarement pacifique : la lutte puis la victoire confèrent ainsi au vainqueur le statut de héros, qui se doit de subir ce type dépreuves initiatiques (Héraclès, Thésée
). Le monstre peut néanmoins apparaître parfois comme un auxiliaire ou un émissaire des dieux ; il peut aussi servir à laccomplissement dune vengeance ou dune punition. Le monstre peut encore être le gardien attentif et jaloux dun trésor qui peut être matériel (lor des Griffons, les pommes dor du jardin des Hespérides surveillées par un dragon) ou spirituel. Dans le second cas, il est le détenteur dun savoir réservé aux initiés, comme le Centaure Chiron qui se fait le précepteur de nombreux héros (Jason, Asclépios, Achille
). Un autre espace plus inquiétant est peuplé de monstres ; il sagit de lau-delà. Cerbère et les Furies sont ainsi des figures incontournables de toute représentation des Enfers. Dans lOdyssée, Ulysse, lors de lévocation des morts, craint de voir apparaître devant lui la tête de Gorgô.
La troisième partie est consacrée à laltérité du monstre, situé à la frontière de lhumain. Car le monstre, cest lAutre. Les récits de voyages et les traités de géographie colportent ainsi souvent des faits incroyables, parmi lesquels lexistence de créatures extraordinaires, merveilleuses ou redoutables, peuplant les confins du monde. Le Barbare aussi tend à être perçu, dans ses différences, comme monstrueux par rapport aux normes de lobservateur. Mais le monstre peut aussi résider en nous ; il est en effet cette partie de lhomme faite de pulsions et de démons, quil sagit dendiguer. Pour figurer cette monstruosité intérieure, la littérature déploie les ressources dun bestiaire fantastique représentant autant dallégories des travers humains : folie, passion, fureur guerrière, médisance
Une autre catégorie concerne les héros à lapparence humaine mais au comportement inhumain (ainsi chez Euripide ou Platon). Cependant la notion de monstre politique paraît une spécificité romaine plus que grecque. Cicéron lutilise pour discréditer Verrès, Catilina ou Marc-Antoine ; Tacite et Suétone en usent quant à eux dans leur portrait du mauvais empereur (Caligula, Néron, Domitien
). Le monstre, cest aussi souvent la femme : les monstres de sexe féminin foisonnent en effet dans la mythologie, quil sagisse des créatures fabuleuses dHomère et Hésiode ou de monstres moraux comme Médée, Phèdre ou Clytemnestre.
La quatrième partie, «Stratégies dinfiltration», traite de la persistance du monstre dans lart, depuis la période archaïque jusquà lère chrétienne. Pieds de table, angles, recoins ou supports accueillent volontiers sphinx, griffons ou Centaures, tandis que la tête de la Gorgone a souvent un aspect apotropaïque. Le monstre se voit volontiers associé, dans les traités darchitecture ou chez les poètes, à une réflexion sur lart, la laideur, la beauté ou le goût. Il appartient à un courant plutôt anti-classique qui sépanouit ultérieurement autour des grotesques. Le thème du monstrueux peut aussi être traité de manière sarcastique, humoristique ou satirique. La comédie, la poésie hellénistique, la philosophie et le roman sont ici pris en exemple avec Aristophane, Platon, Théocrite, Callimaque, Lucien ou Ovide. Il faudrait évoquer encore les mentions de monstres comme lincarnation des divagations de lesprit. Le recueil se clôt sur les métamorphoses ; point de passage dune forme à une autre, elle donne en fait à voir un monstrueux transitoire.
Le livre comprend, comme les autres titres de la même collection, de courtes notices sur les auteurs cités, un petit dictionnaire des monstres gréco-romains, et une liste plus courte des principaux dieux des Grecs et des Latins, sans parler dune bibliographie de neuf pages qui permettra à ceux qui le désirent dapprofondir leurs connaissances sur la tératologie antique.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 08/12/2009 ) Imprimer | | |