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L’Egypte du Père de l’Histoire
Typhaine Haziza   Le Kaléidoscope hérodotéen - Images, imaginaire et représentations de l'Egypte à travers le livre II d'Hérodote
Les Belles Lettres - Etudes anciennes 2009 /  45 € - 294.75 ffr. / 393 pages
ISBN : 978-2-251-32670-2
FORMAT : 16cm x 24cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.
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Typhaine Haziza, agrégée d’histoire et maître de conférences d’Histoire ancienne à l’Université de Caen – Basse Normandie, publie dans la collection des ''Études anciennes'' des Belles Lettres une version révisée de sa thèse de doctorat effectuée sous la direction d’André Laronde, soutenue en 2001 à l’Université Paris IV Sorbonne. Elle ne reprend que les deux premières parties de la version de soutenance, réservant la troisième, consacrée aux représentations du pharaon chez Hérodote, à une publication ultérieure.

Les Histoires – ou plutôt, devrait-on dire, l’Enquête – d’Hérodote est une œuvre qui peut apparaître comme l’aïeule des études historiques, voire géographiques ou ethnographiques. Mais elle constitue pour certains un fatras de fables, bien éloigné de la rationalité et du sérieux d’un Thucydide. Il faut dire qu’on a bien souvent affaire à un labyrinthe narratif de digressions et d’anecdotes, qui nous éloigne fort de ce que l’on attend du genre historique traditionnel. De là est née une attitude critique, voire parfois agressive, envers ce père bien imparfait, en fonction des critères méthodologiques actuels. L’œuvre fascine, mais en même temps agace, car elle ne se laisse jamais dominer totalement. Néanmoins, le narrateur d’Halicarnasse, observateur de son temps, peut, à défaut d’être un historien «parfait», se retrouver convoqué comme une source précieuse pour l’étude du Ve siècle av. J.-C., voire même pour les siècles antérieurs. Les Histoires n’intéressent plus seulement les hellénistes ou les épistémologues, mais aussi les égyptologues, pour qui elles peuvent constituer une source parallèle et complémentaire aux documents papyrologiques, épigraphiques ou archéologiques égyptiens. La difficulté est que le récit d’Hérodote ne trouve pas toujours de correspondance immédiate dans les données de l’égyptologie. Face aux problèmes d’interprétation que pose le texte de l’écrivain d’Halicarnasse, les commentateurs soupçonneux ont donc souvent conclu à l’incompréhension d’un voyageur trop pressé, voire à d’éventuelles inventions masquant ses ignorances.

Typhaine Haziza souhaite aller au-delà des analyses d’hellénistes comme François Hartog ou Pascal Payen. L’ouvrage du premier, Le Miroir d’Hérodote (Gallimard, 1ère éd. 1980), a eu le mérite de placer le récit hérodotéen dans le cadre d’une approche des représentations, mais se réduit à un angle d’attaque particulier, le thème de l’altérité, limité à la description des Scythes. Les Îles nomades (EHESS, 1997) du second a le défaut majeur, selon elle, de ramener l’ensemble de l’œuvre à un objectif unique. Ces essais se focalisent sur le point de vue grec et les représentations grecques, laissant de côté les realia des sociétés décrites, auxquelles Typhaine Haziza, avec sa double compétence d’helléniste et d’égyptologue, accorde une attention soutenue.

On peut distinguer trois types de sources : ce qu’Hérodote a vu de ses yeux ; ce qu’il a pu recevoir auprès d’informateurs sur place (comme les prêtres égyptiens) ; enfin, ce qu’il a pu emprunter à de précédentes descriptions de l'Égypte – dont celle d’Hécatée de Milet. Pour appréhender pleinement le récit hérodotéen, il faut analyser le cadre historique égyptien, mais aussi les représentations grecques, sans oublier certains motifs de contes égyptiens.

La première partie est consacrée à l’appréhension du milieu naturel. La géographie d’Hérodote se veut un projet de description rationnel (chapitre I). Le regard grec – et plus particulièrement l’importance accordée aux réflexions géographiques ioniennes – est ici privilégié. Mais l’auteur tente, chaque fois que possible, de confronter ce milieu aux représentations égyptiennes sur le sujet. Il résulte de son analyse que la volonté rationaliste des descriptions d’Hérodote apparaît en réalité parasitée par une reconstruction symbolique enracinée dans les cosmologies grecque et égyptienne. Il en va ainsi de l’appréhension du Nil (chapitre II), particulièrement en ce qui concerne les tentatives d’explication de la crue. Derrière la description géographique rationnelle, on voit bien souvent poindre «l’intrusion de l’imaginaire» (chapitre III). Ainsi, on pourra vainement rechercher la réalité de l’île flottante de Chemnis, derrière laquelle il faudrait plutôt percevoir un écho de récits cosmologiques égyptiens autour de la butte primordiale. Le merveilleux ressurgit également avec la description des eschatiai, les confins de l'Égypte, vers l'Éthiopie ou l’Arabie avec son encens et ses serpents ailés qui semblent faire écho à des contes égyptiens. On le retrouve dans les récits mettant en scène des animaux extraordinaires, qu’il s’agisse du célèbre Phénix, des loups de Rhampsinite (probablement en lien avec la geste osirienne) ou des rats de Séthos.

La seconde partie s’intéresse à l’approche ethnographique de l'Égypte par Hérodote. Contrairement à François Hartog, Typhaine Haziza n’analyse pas la société égyptienne dans le cadre d’un système d’altérité induit uniquement par un regard hellénocentrique. La description hérodotéenne ne résulte pas d’un simple effet de «miroir», mais bien plutôt d’un véritable «kaléidoscope» (d’où le titre du livre), composé d’autant de parois réflexives que d’agents créateurs de récits. Il apparaît donc nécessaire, selon l’auteur, de croiser les renseignements d’Hérodote avec les réalités égyptiennes connues par des sources indigènes et par l’archéologie, afin d’évaluer les éventuelles distorsions. Le but n’est cependant pas de reconstituer le fonctionnement de la société égyptienne d’après l’auteur grec, mais de permettre de cerner avec plus d’acuité la part des représentations dans le portrait hérodotéen des mœurs et coutumes égyptiennes. Il s’agit de distinguer ce qui ressort des représentations égyptiennes – savantes ou populaires – de ce qui émane d’une réinterprétation grecque d’éléments locaux mal compris ou abordés par le filtre de préjugés extérieurs. Sont ainsi analysés tour à tour la société égyptienne et ses activités professionnelles (chapitre IV), la famille, la sexualité et la place des femmes (chapitre V), les cadres de vie et l’urbanisme, l’importance accordée aux animaux, les divertissements et la philosophie de vie, et enfin les fêtes religieuses (chapitre VI).

L’ouvrage s’achève sur plusieurs annexes utiles (repères chronologiques, chronologie égyptienne d’Hérodote, cartes de l'Égypte et du Delta, schémas des représentations géographiques d’Hécatée, Hérodote et Ephore), et une dense bibliographie de près de quarante pages, avec des titres que l’on retrouve aussi en notes de bas de page – où l’on regrettera seulement que les références aux mythes grecs se réduisent souvent au renvoi vers le Dictionnaire de mythologie grecque et romaine de Pierre Grimal (PUF, 1ère éd. 1951). Un index des sources, des noms propres et des lieux termine le volume.

Typhaine Haziza convainc à nous démontrer ainsi la mixité des origines du «produit hérodotéen», dans lequel se rencontrent regard grec et représentations égyptiennes. Elle est bien consciente que nous n’avons pas toujours toutes les clés de lecture nécessaires à sa pleine compréhension. Voyageur grec, Hérodote est fortement tributaire des cadres mentaux de son milieu culturel d’origine, mais il faut également tenir compte de ses informateurs, Grecs d'Égypte ou Égyptiens. Dès lors, même perçue au travers du filtre rationnel du regard ionien, l'Égypte d’Hérodote s’inscrit dans le cadre d’une étude des représentations et de l’imaginaire, avec une pluralité de regards (grec, égyptien, des classes populaires, des prêtres), permettant néanmoins d’apporter un nouvel éclairage sur nos connaissances de l'Égypte de la Basse Époque.


Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 09/03/2010 )
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