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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Adrienne Dimakopoulou Chlôrêis aêdôn, pâle rossignol - Une étude sémantique Apolis 2011 / 12 € - 78.6 ffr. / 160 pages
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Renée Koch Piettre, maître de conférences à la Section des sciences religieuses de lEcole Pratique des Hautes Etudes, a pris lheureuse initiative de faire publier par les éditions Apolis un mémoire rédigé en 1980 par Adrienne Dimakopoulou en vue du diplôme de lEcole des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). Consacré aux différentes valeurs et significations de ladjectif chlôrêis (qui est loin de se limiter à marquer la couleur verte), ce travail avait été réalisé sous la direction de léminent Pierre Vidal-Naquet, et avait reçu un accueil enthousiaste des autres membres du jury de soutenance, qui nétaient autres que les non moins éminents Jean-Pierre Vernant et Nicole Loraux. La seule chose que lon puisse regretter, cest que leur vu de voir cette étude publiée nait été réalisé que trente ans plus tard. Le texte initial a été peu changé, hormis la suppression de certains traits de convention universitaire et quelques autres allègements dans lexposé méthodologique final. On pourrait regretter également que la bibliographie de quelques cinq pages nait pas été actualisée, dautant plus quune étude anthropologique des couleurs dans lAntiquité sest développée récemment dans le centre de recherches ANHIMA (Anthropologie et histoire des mondes antiques), héritier du centre Gernet au sein duquel Adrienne Dimakopoulou avait mené ses recherches on peut citer par exemple le volume collectif LAntiquité en couleurs. Catégories, pratiques, représentations (Jérôme Million, 2009), coordonné par Marcello Carastro, lui-même maître de conférences à lEHESS.
Louvrage débute par le rappel du mythe antique du rossignol (aêdôn) dans sa version homérique. Pénélope rapporte dans lOdyssée lhistoire tragique dune femme nommée Aêdôn qui pleure son fils Itylos tué par méprise. Cette femme est qualifiée de chlôrêis, terme délicat à traduire, et rendu tour à tour par «verdière» (Victor Bérard et Philippe Jaccottet), ou «bocagère» (Mario Meunier), en référence au vert clair des jeunes pousses et des feuilles tendres du printemps. Mais ladjectif grec chlôros peut aussi signifier «pâle», et évoquer lidée de peur. En annexes, on trouve en version bilingue le texte dAntoninus Libéralis rapportant ce mythe de manière plus étoffée, ainsi que le récit plus long et mieux connu des Métamorphoses dOvide, où lhéroïne Procné est changée en rossignol pour échapper à la vengeance de son mari après le meurtre de leur fils ; elle avait tué ce dernier pour laver laffront subi par sa jeune sur Philomèle, violée par son époux.
Le premier chapitre traite justement de cette thématique de la frayeur, de la «peur verte» qui saisit par exemple Ulysse aux Enfers, quand il savise que Perséphone, la reine des lieux, pourrait lui envoyer le masque pétrifiant de Gorgô. Ladjectif chlôros, qui pourrait renvoyer selon lauteur à lidée de «trouble», est ainsi souvent associé à des noms communs exprimant la crainte, comme deima ou déos. Le deuxième chapitre sintéresse à la mort dItylos ou Itys (le nom varie suivant les versions). Ce décès dun jeune garçon dont le corps nest «pas encore mûr» (aôron), ou «vert» (chlôron) est mis en lien avec la verdeur du printemps à ses commencements. Cette verdeur dun printemps humide est rapprochée, dans le troisième chapitre, de lhumidité des larmes des femmes, qui sont qualifiées chez Homère, chez Sophocle ou Euripide dadjectifs appartenant au vocabulaire végétal : thaleros (florissant), adinos (dense), et bien sûr chlôros (vert ou trouble). Cette verdeur peut avoir des aspects macabres, comme dans lévocation par Sophocle du «sable trouble» (chlôran psamathon) de la plage où les Atrides voulaient abandonner sans sépulture le corps dAjax, héros fou puis suicidé.
Sappho est au centre du quatrième chapitre, car le désir amoureux la rend «plus verte (chlôrotéra) que lherbe», étalant ainsi son trouble sur tout son corps. Concomitant du trouble, ladjectif chlôros participe de lunivers de la méconnaissance et de la mort. Le bref cinquième chapitre traite de chlôros comme dune valeur sémantique de la végétation naissante, tandis que le sixième chapitre étudie plus longuement la valeur chromatique de ladjectif chlôros, qui désigne autant lacier «trouble» du bouclier dHéraclès chez Hésiode que la végétation printanière jeune, fraîche, non mûre, encore verte.
Lauteur opère un petit excursus sur des considérations générales à propos de la notion de couleur chez les Grecs. Avoir une couleur, cest être défini, délimité, être investi dune forme ; mais chlôron, le vert, na justement pas de forme ; en tant que trouble, il ne peut être quindistinct et informe. Cest peut- être pour cela quil désigne la couleur de limmaturité végétale. Ainsi, des notions comme celles du cru, de limmature, de linachevé, de lindifférencié, de linforme et de lindistinct savèrent-elles solidaires du «trouble» et du «vert».
Louvrage se termine par une conclusion qui prend la forme de «considérations de méthode», opérant notamment une systématisation sémantique des occurrences homériques du signifiant chlôros. Ladjectif qualifie des objets concrets, comme le miel, un pieu dolivier ou des rameaux, leur attribuant les propriétés dun stade de la croissance végétale mettant laccent sur laspect jeune, vert et frais de ces objets. Mais on relève aussi des emplois répétés dune même formule, qualifiant une entité mentale abstraite, à savoir la crainte.
Létude dAdrienne Dimakopoulou nous ouvre ainsi un chemin à travers des représentations mentales et des valeurs culturelles qui va bien au-delà dune simple étude des couleurs.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 11/10/2011 ) Imprimer
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