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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Cécile Corbel-Morana Le Bestiaire d’Aristophane Les Belles Lettres - Etudes anciennes 2012 / 45,70 € - 299.34 ffr. / 350 pages ISBN : 978-2-251-32680-1 FORMAT : 16,0 cm × 24,0 cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE), est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne à Paris, où il est responsable du CADIST Antiquité. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Louvrage de Cécile Corbel-Morana, Maître de conférences en langue et littérature grecques à lUniversité Rennes 2, représente une version remaniée de sa thèse de doctorat codirigée par Michel Casevitz et Monique Trédé, et soutenue en 2002 à lUniversité Paris X-Nanterre. Le sujet pourrait en paraître évident, tant le bestiaire dAristophane peut sembler connu, particulièrement à travers le titre de trois de ses plus célèbres pièces, les Guêpes, les Grenouilles et les Oiseaux. Mais on naurait garde de se limiter à ses deux seules uvres, de même quà létude des seuls batraciens et de la gent ailée et emplumée. En fait, des bêtes de toute sorte envahissent le texte et la scène comique : animaux réels ou fabuleux, familiers ou exotiques, humbles ou nobles, sans oublier les êtres hybrides mi-hommes mi-animaux. Il peut sagir danimaux bons à manger, de métaphores ou de comparaisons animales, et pas seulement de churs zoomorphes. Même si lon ne doit pas négliger les notations naturalistes chez le poète, qui manifestent une certaine connaissance zoologique, lanimal est avant tout, chez Aristophane, un emblème et une métaphore, lintérêt porté à lhomme restant premier. La dimension symbolique (doù le terme de «bestiaire» préféré à celui de «faune») est ici la plus importante, et lauteur sattache à confronter le texte dAristophane avec la conception de lanimal dans la littérature, les mythes, la philosophie et lensemble de la pensée grecque. Figure de laltérité au même titre que les dieux, lanimal se trouve en fait au cur dune anthropologie où sarticulent dautres concepts comme ceux de sauvagerie et de civilisation. Penser lanimal revient ainsi à penser lêtre humain, même si cest de façon détournée. Les deux parties de louvrage sintéressent ainsi aux deux thématiques de la politique (quelle fonction symbolique occupe lanimal dans la représentation de la Cité) et de la poétique (comment lanimal est utilisé par Aristophane dans sa réflexion sur le métier de poète).
La première partie étudie les rapports entre «bestiaire et politique». Dans lutopie pacifiste, lanimal contribue à définir les contours dune Athènes régénérée par le retour de la paix. Il apparaît dabord comme un aliment. A lopposé du poisson salé qui constitue lordinaire du soldat en temps de guerre, les animaux emblématiques de la campagne attique (bufs, moutons, petit gibier, pinsons, lièvres, abeilles) rivalisent, en temps de paix et de prospérité, avec languille du lac Copaïs importée de Béotie. Lanimal a aussi toute sa place dans les images et métaphores associées à la sexualité dans les comédies pacifistes dAristophane. La nourriture animale ne renvoie cependant pas toujours à lidée positive dun âge dor retrouvé, elle peut apparaître également comme linstrument de la satire des murs politiques de la démocratie athénienne contemporaine, concernant autant le peuple que les gouvernants. Dans Les Cavaliers, le thème est employé métaphoriquement pour critiquer le système de rétribution des jurys populaires. Dans LAssemblée des femmes, le repas apparaît comme le seul souci du citoyen et tient lieu dactivité politique. Dans Les Cavaliers à nouveau, lalimentation du personnage du Paphlagonien il apprécie particulièrement le poisson sert à dénoncer les malversations du démagogue Cléon. La consommation de poissons délicats semble associée à des tendances tyranniques. Aristophane emprunte certaines de ses images animales à la poésie épique dont il détourne le bestiaire. Il fait aussi une large place aux animaux humbles, comme dans la fable et les traditions populaires. Le dernier chapitre de la première partie est consacré au couple conceptuel sauvage/Cité dans Les Oiseaux. Dans cette pièce, cette tension, qui humanise les volatiles tout en animalisant les deux héros athéniens, finit par prendre la forme complexe et paradoxale dune «cité sauvage» ; il sagit de mettre en garde contre les comportements sociaux et politiques qui font régresser lhomme à la condition animale dont il avait réussi à sextraire grâce au cadre civique.
La deuxième partie délaisse le terrain politique pour sintéresser à la poétique. Aristophane exprime dans ses comédies un jugement critique sur les autres genres littéraires. Cest par rapport à eux quil définit son propre projet poétique, dans un échange constant avec les genres poétiques «nobles» que sont lépopée, la poésie lyrique et la tragédie. Ce dialogue, entre critique et imitation, fait apparaître les poètes lyriques et tragiques comme les véritables rivaux dAristophane, cibles privilégiées de sa satire, mais aussi modèles auxquels il cherche à se mesurer. Le bestiaire sert ce double but. Il permet en effet de rabaisser et de caricaturer la poésie élevée (Alceste devient une anguille, tandis que Pégase est remplacé par un bouvier scatophage), mais donne aussi à Aristophane loccasion de traiter à sa manière un thème animalier répandu chez ses rivaux (ainsi celui du cygne ravalé au rang de grenouille). Le poète comique met en scène les animaux dans la réécriture parodique de ses modèles, introduisant ainsi des effets burlesques. Par sa trivialité, la cuisine apparaît comme lun des instruments privilégiés de cette forme de parodie. Le poisson, connoté négativement par son absence dans lalimentation des héros homériques, y joue un rôle des plus importants. La critique littéraire est au centre des préoccupations de la comédie Les Grenouilles, où lon voit Dionysos essayer de trancher la rivalité entre Eschyle et Euripide, en allant quérir les deux dramaturges aux Enfers. Les esthétiques contrastées des deux Tragiques (archaïsme et étrangeté farouche de laîné contre réalisme familier du cadet) sont respectivement symbolisés par le bestiaire héroïque (le formidable hippalectryon) et le bestiaire de la vie quotidienne (le banal coq de basse-cour). Le chur des «grenouilles-cygnes» représente également une satire contre les poètes du Nouveau dithyrambe. Les Oiseaux constituent la seconde pièce où la thématique poétique est particulièrement forte. Avec le chant de la Huppe, Aristophane peut rivaliser avec le lyrisme traditionnel. Il remet en question la hiérarchie des genres littéraires pour démontrer que la Comédie est un art majeur et lui donner ses lettres de noblesse, sans renier pour autant sa mission de divertissement alliant théâtre, musique et chorégraphie.
Louvrage montre toute la richesse et la complexité du bestiaire dAristophane. Lunivers naturel de référence de lauteur comique est dabord celui quil partage avec les habitants de lAttique, paysans et citadins familiarisés à la fois avec la faune méditerranéenne locale et les étals de lagora. Il ne faut à cet égard pas négliger les notations réalistes qui apparaissent ça et là dans ses pièces, même si son bestiaire repose surtout sur des représentations à la fois littéraires, mythiques ou symbolique. La réinterprétation est le plus souvent parodique, servant un but de critique politique, mais aussi de critique poétique. Lintérêt du livre est de montrer que ce bestiaire nest jamais simpliste, limage de certains animaux étant pour le moins ambiguë, à limage de la guêpe tantôt parée de vertus positives (combativité des soldats des guerres médiques), tantôt affligée de valeurs négatives (comportement méprisable des juges élus). La comédie des Oiseaux couronne ce bestiaire comme elle couronne luvre du poète comique. On peut lanalyser avec lauteure comme une vaste métaphore construite autour de la figure de loiseau, présentant la réflexion la plus complète et la plus aboutie sur lanimal politique comme sur les ambitions artistiques dAristophane. Louvrage comporte une abondante bibliographie offrant un riche panorama des éditions, commentaires, traductions ou scholies avant de recenser les différentes études scientifiques sur lauteur des Grenouilles et des Oiseaux. On pourra juste regretter labsence dun index des noms communs et des noms propres, qui aurait utilement complété lindex des passages commentés et lindex des mots grecs.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 06/11/2012 ) Imprimer | | |
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