|
Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| |
Les mythes de Seuil en Découverte | | | Jean-Pierre Vernant Mythe et société en Grèce ancienne La Découverte - Poche 2004 / 9 € - 58.95 ffr. / 252 pages ISBN : 2-7071-4325-1 FORMAT : 13x20 cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne (mémoire sur Les représentations du féminin dans les poèmes dHésiode) et dun DEA de Sciences des Religions à lEcole Pratique des Hautes Etudes (mémoire sur Les Nymphes dans la Périégèse de la Grèce de Pausanias). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia, il est actuellement professeur dhistoire-géographie. Imprimer
Les éditions de La Découverte rééditent aujourdhui lun des ouvrages majeurs de Jean-Pierre Vernant, précédemment paru dans la collection de poche Points Seuil en 1992 (mais La Découverte avait déjà réédité Mythe et Société en Grèce ancienne en 1988, après la première édition à la Librairie François Maspéro en 1974). Sur la couverture, le départ de guerriers pour la bataille sest substitué au combat de Thésée et du Minotaure, les figures rouges aux figures noires, mais le contenu est rigoureusement identique, à la page et même à la ligne près. Cest quil ny a rien à y ajouter, cet essai de trente ans conserve toute sa pertinence et son actualité dans le domaine des études grecques.
Ce recueil darticles se situe dans la lignée de deux autres ouvrages consacrés au mythe : Mythe et pensée chez les Grecs (1965) et, en collaboration avec Pierre Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne (1972, le second tome ne paraissant quen 1986), dailleurs également réédités dans la même collection à La Découverte et constituant un triptyque fondamental pour les hellénistes.
Le livre souvre sur quatre articles traitant de la lutte des classes (où lon découvre que lanalyse par Marx lui-même des sociétés antiques nest pas aussi caricaturale que certains ont bien voulu le croire, lauteur du Capital reconnaissant dans celles-ci la primauté du politique sur léconomique), de la guerre dans les cités (rédigé en introduction à un ouvrage collectif sur les Problèmes de la guerre en Grèce ancienne), du mariage (particulièrement ses transformations de lépoque archaïque à lâge classique) et dune comparaison de lhistoire sociale et de lévolution des idées en Chine et en Grèce du VIe au IIe siècles avant notre ère (dans cette démarche, lauteur a bénéficié du concours du sinologue Jacques Gernet, fils de son maître Louis Gernet dont il a donné le nom au centre de recherches quil a fondé). Cette étude comparatiste à deux voix met laccent sur les ressemblances, mais surtout sur les différences, qui permettent de mieux saisir ce que chaque culture comporte doriginal.
Dans ces quatre études, il est en fait beaucoup plus question de société que de mythe, mais le rapport sinverse pour les articles suivants. «La société des dieux» met laccent sur la double manière dont on doit envisager le panthéon grec : dabord comme société divine, avec ses hiérarchies, ses attributions, ses privilèges, en rapport plus ou moins étroit avec lorganisation de la société humaine ; ensuite comme système classificatoire, langage symbolique obéissant à sa propre finalité intellectuelle. Il faut se défaire de la quête illusoire des origines dune divinité, de la recherche génétique entre influences indo-européenne, égéenne ou asianique, afin dessayer plutôt de comprendre ce que représente cette divinité dans la pensée et la vie religieuses dun Grec, en relation avec les autres divinités du panthéon avec lesquelles il forme un système quon ne saurait comprendre en accumulant les études strictement monographiques. Une religion, un panthéon nous apparaissent ainsi comme un système de classification, une certaine façon dordonner et de conceptualiser lunivers, sachant que les dieux sont plus des puissances que des personnes.
Dans «Le pur et limpur», J.-P. Vernant discute la thèse de L. Moulinier qui ne voit notamment dans la souillure que laspect physique (la saleté), certes indéniable, en négligeant son aspect symbolique, ce qui ne lui permet pas de résoudre le problème des rapports ambigus de la souillure avec les dieux, et de limpur avec le sacré. Larticle suivant reprend lintroduction au livre Les jardins dAdonis de Marcel Detienne (Gallimard, 1972), et entretient des liens étroits avec lenquête sur le mariage. En reprenant le dossier dAdonis et en lélargissant à toute la mythologie des aromates (plutôt que de réduire, dans une optique frazérienne, cette figure mythique à un génie de la végétation), on débouche sur la question du sacrifice (où les aromates sont du côté des dieux), celle de lagriculture (opposition des aromates secs et chauds et de la laitue anaphrodisiaque et humide où meurt Adonis, avec entre les deux les céréales), mais aussi celle des différents statuts matrimoniaux (épouse, concubine, sans parler de la courtisane, puisque les aromates sont situés du côté de la séduction érotique).
Sacrifice, agriculture (définissant tous deux un régime alimentaire basé sur la consommation de céréales et de viande cuite) et mariage constituent au reste pour J.-P. Vernant la définition même de la condition humaine pour les Grecs. On retrouve cette idée dans son étude sur le mythe prométhéen chez Hésiode. Suivant la méthode structurale, il dégage, au premier niveau, une analyse formelle du récit (distinguant, dans les deux versions complémentaires de la Théogonie et des Travaux et les jours, les agents, les actions, lintrigue et la logique générale), avant de sintéresser, à un second niveau, à lanalyse des contenus sémantiques (lanimal sacrifié, le feu volé, la première femme Pandora et le bios céréalier entretiennent, sur toute une série de plans, homologie et correspondance). Enfin, à un troisième niveau, il prend en compte le contexte socioculturel qui lui permet de dégager dans ce mythe une explication de lorigine de la condition humaine daprès les Grecs.
Le dernier article, «Raisons du mythe», est une étude plus théorique sur la notion même de mythe. Celui-ci se définit dans notre culture par une double opposition au réel (le mythe est fiction) et au rationnel (le mythe est absurde), mais lauteur montre que lopposition entre mythos et logos, dégagée par les Grecs (qui nous lont transmise), nétait pas si nette au début, et quil faut peut-être envisager dans le mythe un autre type de logique. Il se livre ensuite à une étude épistémologique et historiographique de la science des mythes. Lébauche en a été posée par lécole de mythologie comparée (qui a privilégié linterprétation naturaliste), lécole anthropologique anglaise (qui a donné la priorité au rituel) et la philologie historique allemande (qui a privilégié létude des textes et la méthode génétique). Il évoque ensuite le renouveau des études mythologiques à partir de lentre-deux-guerres, distinguant les approches symboliste (celle de la phénoménologie religieuse à laquelle il reproche de sabstenir de toute référence à lhistoire et au contexte socioculturel) et fonctionnaliste (qui ne sintéresse quà ce dernier, de manière un peu trop restrictive), dépassées par une approche nouvelle qui fait toute sa place à lanthropologie, mais aussi aux apports de lhistoire, de la linguistique et de la psychologie (avec M. Mauss, M. Granet et L. Gernet). G. Dumézil fait dans la même voie un pas de plus en souvrant au comparatisme pour dégager lidéologie tripartite indo-européenne. Mais le plus grand renouveau vient de C. Lévi-Strauss qui applique à létude des mythes la méthode structurale. Il sagit de trouver dans le mythe le code qui permet de révéler son sens caché, en repérant les éléments constitutifs du récit (les mythèmes) et leurs rapports dopposition et dhomologie indépendants de lordre narratif. Mais il faut pour cela une connaissance complète et précise du contexte culturel, géographique, physique, économique, technique, social, politique et religieux (la liste nest pas limitative
) de la société dont on étudie les mythes.
Cest cette méthode que J.-P. Vernant entend appliquer aux sociétés du passé, en tenant compte des différences entre le corpus de récits oraux recueillis par lethnologue et les uvres littéraires léguées par les anciens Grecs. Cette approche anthropologique a dailleurs été élargie par dautres savants à dautres périodes de lhistoire, et contribue encore à la fécondité de la discipline historique.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 15/07/2004 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Quand les dieux parlaient aux hommes de Catherine Salles | | |
|
|
|
|