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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Peter Garnsey Caroline Humfress L'Evolution du monde de l'antiquité tardive La Découverte - Textes à l'appui 2005 / 23 € - 150.65 ffr. / 294 pages ISBN : 2-7071-4074-0 FORMAT : 14x22 cm
Lauteur du compte rendu : Agnès Bérenger-Badel, maître de conférences d'histoire romaine à l'Université de Paris Sorbonne (Paris IV), est une spécialiste de lhistoire politique et administrative de la Rome impériale. Elle a rédigé plusieurs ouvrages liés au programme de l'agrégation et du CAPES (dont L'Empire romain au IIIe siècle après J.-C., Textes et documents, SEDES, 1998, et Rome, ville et capitale, de César à la fin des Antonins, Paris, Hachette, 2002). Imprimer
Les éditions La Découverte ont eu lheureuse initiative de publier la traduction dun ouvrage dont la première édition date de 2001, et qui est paru sous le titre The Evolution of the Late Antique World chez Orchard Academic, à Cambridge. La politique de traduction en français douvrages parus à létranger est tellement frileuse quil convient en préliminaire de saluer cette initiative.
Louvrage de Peter Garnsey et Caroline Humfress a pour ambition affichée de présenter les nombreuses mutations qua connues lEmpire romain du IIIe au Ve siècle ap. J.-C. et de les mettre en perspective, en montrant les réelles continuités entre le Haut Empire et lAntiquité tardive. La réflexion se déroule en suivant neuf chapitres successifs, chacun consacré à un thème précis. Les auteurs ont certes sacrifié à lédition «grand public» en présentant en exergue une chronologie des empereurs romains et en consacrant un premier chapitre à une présentation générale retraçant à grands traits lévolution politique de lEmpire romain, mais par la suite leur réflexion est loin de se limiter à une synthèse pour public cultivé et a le mérite de revenir sur un certain nombre didées générales véhiculées sur cette période charnière afin de les remettre en cause.
Ainsi, si lon reprend point par point les différents thèmes abordés par les auteurs, le deuxième chapitre, intitulé «Empereurs et bureaucrates», sinterroge sur les limites du pouvoir impérial et sur limpact de laugmentation du nombre de fonctionnaires sur lefficacité administrative. Il souligne les abus du système, comme les extorsions de fonds et les profits illicites, et revient sur des questions essentielles pour comprendre le fonctionnement de la bureaucratie, en loccurrence le mode de sélection des fonctionnaires et les rôles respectifs du patronage et des compétences techniques. Le chapitre suivant sintéresse au droit et à la justice et rejette demblée lidée reçue dun déclin du droit dans lAntiquité tardive par rapport à une époque classique perçue comme un «âge dor». En fait, les auteurs soulignent la continuité du droit tardif avec le droit antérieur grâce à une évolution «créatrice» et montrent comment les professionnels du droit ont continué à créer le droit. Ils abordent aussi le développement du droit ecclésiastique et le rôle de iudex dévolu à lévêque.
Au chapitre 4 sont abordées les questions des hiérarchies sociales et des identités culturelles. Les divisions sociales sont encore plus marquées dans lAntiquité tardive quaux époques antérieures. Toutefois, il serait réducteur de polariser la société romaine autour doppositions binaires, en particulier celle entre honestiores et humiliores. Lanalyse se porte dabord sur les distinctions hommes libres/esclaves et citoyens/non-citoyens et conclut à la valeur persistante de la citoyenneté romaine, y compris après lédit de Caracalla de 212. Le chapitre suivant, intitulé «Le pain quotidien», est centré sur les questions dapprovisionnement. Si les dispositifs réguliers de distributions alimentaires sont rares, à lexception de Rome, dAlexandrie et de Constantinople, les émeutes frumentaires sont évitées grâce à lévergétisme, même si certains notables se montraient réticents, ce qui a pu dans certains cas conduire les empereurs à intervenir pour leur ordonner de baisser les prix. LEmpire tardif voit aussi le développement des institutions charitables de lÉglise, qui occupent un vide laissé par les systèmes de redistributions païens, en sintéressant aux pauvres en tant que tels (et non en tant que citoyens ou que clients).
Louvrage se penche ensuite sur lévolution religieuse de cette période et souligne que la diversité religieuse a persisté et sest peut-être même intensifiée. Létablissement du christianisme comme religion officielle sest accompagné de réflexions pour déterminer ce qui, dans les pratiques et les croyances, était licite et ce qui ne létait pas. Mais les frontières ainsi définies (à la fois entre christianisme et paganisme et entre orthodoxie et hérésie) étaient mouvantes et ce qui était acceptable à un moment donné pouvait ne plus lêtre un peu plus tard. Cette réflexion sur la religion débouche sur le chapitre suivant, consacré à la morale et à la famille. Lessor du christianisme a-t-il débouché sur une révolution morale ? Il est difficile de percevoir la portée exacte des changements, faute de sources sur ces aspects. La morale chrétienne nétait pas définie de façon univoque. Elle se concentre avant tout sur la sexualité et la charité et ne remet pas en cause la hiérarchie familiale en place, insistant au contraire sur le nécessaire respect de lautorité du pater familias.
Louvrage envisage ensuite la question de la critique de la société chez les auteurs chrétiens et montre que ce sont principalement les ascètes extrêmes qui se livrent à une véritable critique. Le discours patristique classique est en général conservateur. Grégoire de Nysse, seul auteur chrétien à avoir condamné lesclavage, ne le fait pas en raison du triste sort des esclaves. Il est en fait préoccupé par le salut des propriétaires desclaves, coupables du péché dorgueil. La dénonciation de la torture par Augustin repose sur laffirmation de son inefficacité et de son inhumanité.
Le dernier chapitre est consacré à un aspect tout à fait différent et sintéresse à la conception quEdward Gibbon, auteur de lHistoire du déclin et de la chute de lEmpire romain, à la fin du XVIIIe siècle, pouvait avoir des causes du déclin de Rome. Pour lui, Rome avait trop présumé delle-même et sétait étendue à lexcès. Aussi valorise-t-il la modération dAuguste qui prescrivit à ses successeurs de ne pas chercher à étendre lEmpire au-delà des limites naturelles du territoire romain. Cette conception se retrouve chez plusieurs autres auteurs au XVIIIe siècle, tels Charles Davenant et Andrew Fletcher.
La lecture de cet ouvrage savère donc stimulante à plus dun titre et conduit à relire attentivement des sources par ailleurs bien connues.
Agnès Bérenger-Badel ( Mis en ligne le 14/01/2005 ) Imprimer
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