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Initiation aux Pères de l’Eglise du IIe siècle | | | Bernard Pouderon Les Apologistes grecs du IIe siècle Cerf - Initiation aux Pères de l'Eglise 2005 / 35 € - 229.25 ffr. / 355 pages ISBN : 2-204-07531-0 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement élève conservateur à lEcole Nationale Supérieure des Sciences de lInformation et des Bibliothèques. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Les éditions du Cerf nous offrent, dans leur collection «Initiations aux Pères de lEglise», un ouvrage de Bernard Pouderon, professeur de grec ancien à luniversité de Tours, qui sintéresse ici plus particulièrement aux apologistes grecs du IIe siècle.
Les apologistes (ou apologètes) sont des écrivains de lEglise ancienne, dont les ouvrages, rédigés en grec ou en latin, eurent pour objet la sauvegarde et lillustration de la religion chrétienne, de sa doctrine et de ses communautés. Mais plus que la finalité de défense du christianisme, cest surtout le public visé qui constitue leur point commun. En effet, leurs ouvrages ont pour but de présenter à ceux qui sont en dehors de la communauté (autorités, public païen, Juifs, hérétiques) la doctrine et la vie chrétiennes, tentant détablir avec eux une forme de dialogue, fût-il polémique.
Lapologétique chrétienne sétend ainsi des écrits de Paul au triomphe total (intellectuel et politique) du christianisme sur le paganisme (vers le Ve siècle). Mais lon applique plus particulièrement le qualificatif dapologistes à une génération dauteurs dont lactivité décriture a été consacrée presque exclusivement à la défense du christianisme dans des temps où il était fort menacé, cest-à-dire lépoque des empereurs de la dynastie antonine (de Trajan à Commode). On les appelle au reste Pères apologistes pour les distinguer en amont des Pères apostoliques censés représenter la génération des «successeurs des apôtres», et, en aval, de divers pasteurs, théologiens, exégètes, polémistes et poètes depuis Irénée de Lyon ou Clément dAlexandrie jusquà Jean Damascène (qui marque le terme de lépoque patristique).
La période des apologistes correspond à une phase dexpansion du christianisme, qui ne se détache clairement du judaïsme que vers la fin du Ier siècle. Cette émergence au grand jour de la communauté donne lieu, de la part de lautorité impériale, à une série de rescrits et dordonnances ; les chrétiens commencent à apparaître dans les débats des intellectuels et à figurer dans la littérature (Lucien, Epictète, Galien, Marc Aurèle... Fronton et Celse rédigent même des ouvrages polémiques dirigés contre eux). Ils paraissent bousculer lordre religieux païen, constituant une menace à la fois politique, identitaire et idéologique. Ils trouvent dailleurs une réplique sur chacun de ces trois fronts, à travers les poursuites devant les tribunaux, les persécutions populaires et les controverses intellectuelles. Les uvres des apologistes représentent la réponse des communautés chrétiennes à cette triple menace.
La première partie de louvrage constitue une introduction générale à la littérature apologétique. Il présente tout dabord un contexte politique et social qui correspond à lapogée du principat. Même si les rescrits constituent le fondement juridique des persécutions, la répression nest pas constante, dautant moins que les autorités refusent les dénonciations anonymes et les plaintes collectives, malgré létablissement dun délit de christianisme, contre lequel les apologistes sinsurgent. Ils marquent leur attachement (voire leur allégeance) à lEmpire, et tiennent à se démarquer de la rébellion juive qui conduit à la seconde chute de Jérusalem, affirmant ainsi leur identité propre face au judaïsme. On a cependant quelque peu de mal à suivre lauteur quand il affirme que «le paganisme, au IIe siècle, était en perte de vitesse» (p.37), remarque qui semble sinscrire dans le sens dune lecture téléologique de lhistoire du christianisme. Il reste que le paysage religieux est très varié, entre la promotion du culte impérial par les autorités (qui fait lobjet dune certaine acceptation de la part de quelques chrétiens, même sils refusent la dignité de divinité à lEmpereur), le développement des cultes orientaux (mais Cybèle est présente à Rome depuis les guerres Puniques
) et la philosophie (notamment le platonisme et le stoïcisme). Les apologistes se présentent dailleurs eux-mêmes comme des «philosophes». La controverse est vive également avec les Gnostiques, qui attribuent la création à une ou plusieurs puissances inférieures (un démiurge assimilé au Dieu Juste mais Jaloux de lAncien Testament, distingué du Dieu dAmour du Nouveau Testament, ou des anges créateurs appelés aussi éons).
Face aux attaques de leurs ennemis, les apologistes sattachent à définir un idéal du chrétien comme modèle de piété et de religion, modèle de perfection morale, mais aussi modèle du «bon citoyen». Cependant, ils ne constituent pas toujours un front commun. Ainsi, face à la culture grecque, la plupart marquent un attachement qui sexplique par leur formation initiale davant la conversion, mais Tatien étend son rejet du paganisme à lensemble de lunivers culturel hellène. Les Apologies ne sont pas des traités théologiques, mais elles constituent de précieux témoignages de lélaboration du dogme au IIe siècle. Elles défendent la foi en lexistence dun Dieu unique, établie par la raison. Pourtant, cest aussi en elles que l'on trouve les premières tentatives pour rendre compte de la distinction trinitaire des personnes dans lunité divine. Le Fils, qualifié de Logos, est présenté comme lIntellect ou la Raison du Père. LEsprit, en revanche, nest jamais appelé Dieu (tout au plus est-il qualifié de «divin» dans son rôle de lien entre le Père et le Fils). Malgré ces distinctions, la personne de Jésus comme fondateur historique de la secte chrétienne napparaît guère. La démonologie assimile généralement les dieux du paganisme aux anges rebelles, leur reconnaissant ainsi une certaine forme de pouvoir (divination, guérisons
). Le péché originel est en grande majorité ignoré, et le salut est rarement présenté comme la conséquence de lincarnation et la rançon de la Passion.
Dans les trois autres parties de louvrage, létude se poursuit par lanalyse monographique de chacun des apologistes, en distinguant les grands moments de lévolution du genre. Bernard Pouderon sintéresse dabord à la naissance et au développement de lapologétique chrétienne, dont lApologie dAristide fournit le plus bel exemple, jusquà son apogée, représentée par les uvres de Justin, qui se caractérisent toutes par ladresse à lempereur. Il analyse ensuite la diversification des publics et des formes, depuis le Discours aux Grecs de Tatien jusquà lécrit anonyme A Diognète, en passant par les ouvrages dAthénagore dAthènes, Méliton de Sardes, Théophile dAntioche, et les Apologies perdues de Miltiade et Apollinaire dHiérapolis. Il termine sur létude de quelques uvres anonymes ou pseudépigraphiques.
La conclusion souligne que, malgré léchec de ce type daction sur le plan politique (les empereurs ne se convertissent pas avant Constantin au IVe siècle), la production douvrages apologétiques ne sarrête pas au IIe siècle, puisque la tradition est prolongée par le Protreptique de Clément et le Contre Celse dOrigène. Elle se poursuit bien au-delà de la victoire du christianisme, avec des auteurs comme Eusèbe, Athanase, Cyrille dAlexandrie et Théodoret, sans oublier, dans le monde latin, Tertullien, Minucius Felix, Cyprien, Arnobe, Lactance et même Augustin. Cependant, lapologétique noccupe plus chez ces auteurs quune place secondaire ; le temps est maintenant venu des exégètes, des pasteurs et des théologiens, qui vont approfondir la construction de la doctrine chrétienne et la définition de ses dogmes.
Bernard Pouderon signale enfin un autre intérêt de ces uvres apologétiques : elles constituent en effet une de nos meilleures sources écrites pour la connaissance du polythéisme antique, tant par des allusions à des mythes ou des rituels que par leurs emprunts aux traditions grecques sur le divin, le cosmos ou la nature de lhomme. Elles ont ainsi esquissé les premiers rapprochements entre la foi chrétienne et la philosophie, contribuant largement à la naissance dune littérature nouvelle.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 19/01/2006 ) Imprimer
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