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Histoire & Sciences sociales  ->  Antiquité & préhistoire  
 

Tolérance et intolérance dans l’Antiquité
Marie-Françoise Baslez   Les Persécutions dans l'Antiquité - Victimes, héros, martyres
Fayard 2007 /  24 € - 157.2 ffr. / 417 pages
ISBN : 2-213-63212-X
FORMAT : 15,0cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu : Yann Le Bohec enseigne l’histoire romaine à l’université Paris IV-Sorbonne. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages destinés tant aux érudits qu’au grand public, notamment L’Armée romaine sous le Haut-Empire (Picard, 3e édit., 2002), César, chef de guerre (Éditions du Rocher, 2001) et Histoire de l’Afrique romaine (Picard, 2005) ; une Armée romaine sous le Bas-Empire est sortie à l’automne 2006 (Picard).
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L’ouvrage de M.-F. Baslez poursuit une série de travaux très anciennement inaugurée et, dans le même temps, il s’inscrit dans une problématique toujours à la mode. En effet il renvoie d’un côté à La Persécution du christianisme de J. Moreau (1956) et de l’autre à une multitude d’ouvrages consacrés au même sujet ; parmi les plus récents nous citerons Dying for God de D. Boyarin (1999) ou encore Making Martyrs de L. Grig (2004). Mais M.-F. Baslez part d’une idée originale : les Chrétiens n’ont pas été les seules victimes de persécutions. Certes, les Juifs ont depuis longtemps attiré l’attention sur le traitement qui leur avait été réservé par Rome à certains moments de leur histoire. Mais personne n’avait eu l’idée de regrouper Juifs et Chrétiens dans ce même camp de souffrances et, plus encore, de leur ajouter des polythéistes. De là une conclusion originale : les persécutions ne visaient pas le monothéisme en tant que tel ; elles étaient dirigées contre des individus ou des groupes qui se mettaient en dehors des structures collectives sociopolitiques.

De fait, dans une première partie, —qui sont les martyrs ?—, on voit que des personnages aussi célèbres que le poète Eschyle ou l’hétaïre Aspasie furent poursuivis. Le plus célèbre de ces persécutés reste néanmoins Socrate, symbole pour l’éternité du juste martyrisé : «Socrate, disait l’acte d’accusation, est coupable de corrompre la jeunesse, de ne pas honorer les dieux qu’honore la cité, mais d’autres divinités nouvelles» (cité p.28). La religion joua néanmoins souvent le rôle de détonateur, si l’on peut dire, et les Juifs furent, tout au long de l’Antiquité, des victimes, en particulier du roi Séleucide Antiochos IV en Syrie ; on lira, à propos de ces machinations, le Livre des Macchabées. Ils ne furent pas les seuls, au demeurant. En 186 avant J.-C., le culte de Bacchus fut sévèrement réglementé, mais pas interdit, comme nous l’apprennent Tite-Live et une inscription, car le Sénat de Rome réprouvait les excès qui l’accompagnaient. Sous l’empire romain, quelques intellectuels, surtout des stoïciens, durent souffrir pour leurs idées ; et M.-F. B. commente les Actes des Alexandrins qui font connaître une partie d’entre eux. En revanche, les religions venues d’Orient et diffusées en Occident échappèrent aux poursuites car elles représentaient un phénomène «périphérique» (p.89).

La deuxième partie répond notamment à une autre question : comment connaît-on les martyrs ? Si les textes grecs, et romains à leur suite, ont vanté «la belle mort», on remarque que cet aspect laissait indifférents les Juifs qui, bien plus, acceptaient la mort infamante car, pour eux, l’essentiel se trouvait ailleurs, dans le passage à une autre vie (p.159) ; comme on sait, ils ont exercé une forte influence sur les Chrétiens. De fait la littérature apocalyptique, née chez les premiers, a également été utilisée par les seconds. Les uns et les autres ont manifesté un certain goût pour la mort, qui a donné naissance au montanisme, une doctrine vite jugée hétérodoxe, qui recommandait aux fidèles de se jeter au-devant du martyre pour rejoindre plus vite le Seigneur Dieu. L’œuvre de Tertullien a illustré cette thèse (mais on ignore si l’écrivain lui-même a fini de la sorte, s’il a suivi ses propres conseils).

La troisième partie montre comment la société romaine et, à sa suite, l’État, sont passés de la condamnation sociopolitique à la condamnation religieuse. Au départ, ce sont «les auteurs du Nouveau Testament (qui) ont véritablement inventé le concept de “persécution”» (p.263). Et, sous l’Empire, les Juifs et les Chrétiens servaient de boucs émissaires parfaits pour détourner les agitations populaires diverses. M.-F. B. pose alors le problème toujours aigu des fondements juridiques des persécutions. Elle montre comment les causes ont évolué, surtout à cause du changement du IIIe siècle. La crise qui marqua cette époque, d’abord militaire, et ensuite économique, sociale, morale, bouleversa les habitants de l’empire et le conflit devint religieux, entre les tenants de l’empereur-dieu et ceux du Christ-roi. Les polythéistes trouvèrent des boucs émissaires, précisément, dans les Chrétiens. La grande persécution, qui s’acheva en 304, provoqua un «engrenage de l’intolérance» (p.363). Quand les Chrétiens furent au pouvoir, par l’intermédiaire de Constantin Ier, qu’ils appellent souvent «le Grand», ils se firent à leur tour persécuteurs.

M.-F. B. arrête sa chronologie à l’année 336, sur un texte de la législation impériale qui punit des hérétiques. Elle aurait pu relever un changement dans la continuité. C’est que les Chrétiens, de persécutés, se firent persécuteurs. Les Juifs, victimes de l’empire polythéiste, furent aussi victimes de l’empire chrétien. Les polythéistes eux-mêmes, traités de «paysans» (c’est ce que signifie le mot «païens») furent eux aussi et à leur tour victimes de persécutions. Une longue série de textes législatifs priva les temples de leurs biens et interdit aux fidèles de pratiquer leur religion. Plus souples que les Chrétiens, ces derniers s’exposèrent rarement à la peine de mort et le meurtre de la philosophe païenne Hypatie n’est qu’un cas particulier qui ne s’explique pas seulement par des raisons religieuses. Et les hérétiques ou schismatiques furent parfois encore plus durement châtiés ; en témoigneraient les donatistes africains contre qui fut envoyée la troupe. On remarque d’ailleurs que la législation (contre les hérétiques, les Juifs et les païens) reprend avec fidélité l’apologétique, cet ensemble d’écrits des Pères de l’Église qui, précisément, visaient ces trois catégories.

Ce livre mérite d’être lu lentement, avec une plume à la main ; il faut noter toutes les questions qu’il pose… et toutes les réponses qu’il leur apporte. L’idée de départ s’est révélée féconde et elle a permis d’aboutir à des conclusions, partielles ou générales, tout à fait séduisantes. Comme le texte est bien écrit, le lecteur joindra l’utile à l’agréable.


Yann Le Bohec
( Mis en ligne le 13/02/2007 )
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