| Plutarque Sur les oracles de la Pythie - Edition bilingue français-grec ancien Les Belles Lettres - Classiques en poche 2007 / 7 € - 45.85 ffr. / 92 pages ISBN : 978-2-251-79989-6 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Traduction de Robert Flacelière.
Annotations de Sabina Crippa.
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement élève conservateur à lEcole Nationale Supérieure des Sciences de lInformation et des Bibliothèques. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Lheureuse initiative des éditions des Belles Lettres de publier en format de poche, en bilingue, certains classiques de lAntiquité, avait été mise en sommeil depuis 2003 (avec la publication des Suppliantes dEschyle). Certes, la collection sétait enrichie de titres de Shakespeare ou Gassendi, voire de la Bhagavad-Gîtâ, mais les textes des auteurs grecs ou latins ny étaient malheureusement plus publiés.
Cela nest plus le cas, et lon ne peut que se féliciter de ce projet éditorial ambitieux qui permet aux étudiants hellénistes dacquérir des ouvrages bien moins onéreux que ceux de la prestigieuse Collection des Universités de France. La renaissance sopère ainsi avec lun des dialogues de Plutarque, Sur les oracles de la Pythie. Il sagit là cependant de la traduction de son titre latin (De Pythiae oraculis), qui indique mieux la véritable portée de louvrage que le titre grec, plus restrictif : Pourquoi la Pythie ne rend plus ses oracles en vers. Le texte reprend la traduction de Robert Flacelière dans la Collection des Universités de France (Plutarque, uvres morales, t.VI, Dialogues pythiques, 1974), mais avec une introduction et des notes inédites de Sabina Crippa. La courte bibliographie de deux pages, située à la fin du livre, recense des travaux récents, même si elle reste centrée sur la divination delphique.
Bien quil soit originaire de Chéronée en Béotie, Plutarque a été prêtre à Delphes pendant une vingtaine dannées, au 1er siècle ap. J.-C. Fort de cette expérience, il définit ici en termes polémiques la relation unissant le dieu Apollon et la plus célèbre de ses prêtresses, lors de lénonciation prophétique. A une époque où le sanctuaire panhellénique pouvait sembler sur le déclin, Plutarque prend la défense des oracles delphiques et de la divination. Ses réflexions portent tantôt sur les modalités de communication avec le divin, tantôt sur la typologie des réponses, ou encore sur le caractère ambigu des paroles du dieu et de ses porte-parole. Source fondamentale pour létude de la divination antique, cet écrit constitue un véritable «testament delphique» de cet écrivain initié à la rhétorique, qui avait étudié les mathématiques, la physique, les sciences naturelles, lhistoire et la philosophie platonicienne. Son attachement à la pensée de Platon explique peut-être le choix par Plutarque de la structure formelle ouverte du dialogue. Sa recherche implique en effet la confrontation nécessaire, voire parfois la dispute entre les différents courants philosophiques de lépoque. En dehors de Basiloclès, qui napparaît que dans le dialogue introductif, et des deux guides, qui ne sont que des comparses, les interlocuteurs du dialogue sont au nombre de cinq : Philinos, qui joue le rôle de narrateur, pythagoricien et végétarien, est peut-être un personnage important de Thespies, qui avait accompagné Plutarque dans ses voyages à Rome comme en Egypte ; Diogénianos de Pergame est le jeune protagoniste du dialogue, et cest en son honneur que seffectue la visite du sanctuaire dApollon ; Théon joue le rôle du maître (comme Socrate dans les dialogues de Platon) et peut être identifié à un ami de Plutarque (voire à Plutarque lui-même, dont il serait ainsi le porte-parole) ; Sarapion est un poète stoïcien athénien ; enfin, Boéthos, géomètre épicurien, joue le rôle de lincrédule sceptique, détracteur de la mantique.
Plutarque esquisse ainsi une sorte de théâtre philosophique, dans lequel les personnages alternent et débattent autour de lautel du dieu. Les promeneurs vont à la découverte deux-mêmes et de leur sujet au gré des circonstances et des paysages, les monuments suscitant eux-mêmes la discussion. Celle-ci finit par porter sur la décadence des oracles, voire leur silence, et particulièrement sur la qualité des oracles delphiques. Diogénianos manifeste sa stupeur devant la pauvreté et la médiocrité des réponses oraculaires versifiées dApollon, dieu des Muses, truffées derreurs de métrique et de langue. Cette remarque relative à la piètre qualité des oracles de la Pythie permet à Plutarque daborder le problème plus général de la mantique inspirée et daffirmer lauthenticité et le caractère sacré de linspiration prophétique. La médiocrité des vers oraculaires serait en fait la trace de lauthenticité dune poésie orale produite dans un contexte mantique, à savoir dune poésie populaire improvisée. Quoi quil en soit, les oracles contemporains de Plutarque sont rendus en prose, sans que leur valeur en soit en rien diminuée. Car loracle nest pas une épiphanie, il nest quun reflet, imparfait, et le dieu nest donc pas responsable de sa formulation, qui varie suivant les époques et la personnalité des différentes Pythies.
Les formes de communication oraculaire entre le divin et lhumain sont diverses. Ainsi, à Delphes, deux paroles sopposent : dune part les réponses oraculaires de la Pythie, dépendante de linstitution, liée aux intérêts politiques contemporains et soumise au contrôle des prêtres gérant le calendrier des consultations et le rituel ; dautre part la parole prophétique de la Sibylle, qui se situe à lextérieur, sur un rocher ou dans une caverne. Dotée du pouvoir de «seconde vue», la Sibylle prophétise sans instruments ni ornements : ses prophéties ne sont pas des réponses, mais des visions. Mais la Sibylle et la Pythie, comme les prêtresses de Dodone, sont les représentantes de la mantique inspirée, qui suppose que le médiateur humain (prophète ou prophétesse) soit dans un état denthousiasmos, cest-à-dire «possédé» ou du moins inspiré par la divinité. Cette mantique inspirée, intuitive ou naturelle soppose, dans la tradition antique, à la divination inductive ou artificielle (sappuyant sur létude des phénomènes, lobservation des signes qui sexpriment à travers une série de techniques, comme par exemple la lecture des viscères).
Plutarque, lui, na aucun doute sur linspiration divine, surtout en ce qui concerne la divination enthousiaste, bien supérieure aux divinations inductives. A la charnière de deux époques, entre polythéisme et monothéisme, le texte Sur les oracles de la Pythie est bien plus quun instrument précieux pour comprendre le mécanisme de la mantique inspirée en Grèce ancienne. Le lecteur daujourdhui ne peut quêtre frappé par la force dune série de questionnements qui demeurent fondamentaux : le rapport avec le divin, le thème de la possession, ou le rôle du médiateur humain dans la transmission du message divin.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 27/06/2007 ) Imprimer | | |