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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Laure de Chantal Karine Descoings Séduire comme un dieu - Leçons de flirt antique Les Belles Lettres - Signets 2008 / 13 € - 85.15 ffr. / 332 pages ISBN : 978-2-251-03003-6 FORMAT : 11cm x 18cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Après un panthéon en poche et un guide de cuisine antique, la nouvelle collection «Signets» des Belles Lettres senrichit dun troisième ouvrage consacré à la séduction, lamour et la sexualité. Le principe reste le même : Laure de Chantal, assistée cette fois de Karine Descoings, comme elle normalienne et agrégée de lettres classiques, présente plusieurs textes dauteurs grecs et latins, précédés à chaque fois dune courte présentation.
Le livre souvre sur un entretien avec la neurobiologiste Lucy Vincent, auteur de plusieurs ouvrages, chez Odile Jacob, sur le sentiment amoureux : Comment devient-on amoureux ? (2004), Petits arrangements avec lamour (2005), Où est passé lamour ? (2007). Elle y rappelle que la séduction à luvre dans le rapport amoureux nest quun aspect dune tendance humaine plus vaste, que lon retrouve notamment en politique, et qui cherche à amener lautre à adhérer à son point de vue et ses valeurs. Selon elle, dans le cas de lamour sexuel, on choisit son partenaire en fonction de critères naturels mis en place par lévolution pour la survie de lespèce, le but étant de transmettre ses gènes dans les meilleures conditions à la génération suivante. Si les phéromones et la chimie du cerveau jouent un rôle certain, dautres facteurs doivent également être pris en considération dans le cadre de la transformation dun «coup de foudre» en relation durable (intérêts intellectuels et valeurs communes, confiance, complicité
). Mais dans lensemble, elle donne la primauté au biologique sur le culturel. Sa représentation de la femme comme objet recherché et désiré, et de lhomme comme chasseur qui doit la séduire, en tout temps et en tout lieu, apparaît quelque peu contestable, de même lidée que les différences physiques entre les sexes commandent des attitudes comportementales distinctes. On pourra utilement se reporter, en contrepoint, aux travaux de Catherine Vidal et Dorothée Benoit-Browaeys (Cerveau, sexe et pouvoir, Belin, 2005) critiquant le déterminisme biologique entre les sexes et mettant plutôt laccent sur lextraordinaire plasticité du cerveau.
Lanthologie débute par des textes sur les divinités de lamour, Eros et Aphrodite. Le premier, puissance primordiale dans la Théogonie dHésiode, devient pour des poètes plus tardifs lenfant de la seconde, dont Platon interprète philosophiquement deux épiclèses rituelles (Ourania et Pandémos) comme des représentations, respectivement, de lamour «sacré» et de lamour «profane». Viennent ensuite les portraits des grands séducteurs (Zeus et ses multiples amours avec déesses et mortelles, Narcisse pris à son propre piège, ou encore, dans lhistoire romaine, le grand César lui-même) et de leurs contreparties féminines (les Sirènes du mythe homérique, Aspasie, Cléopâtre ou la scandaleuse Clodia célébrée par Catulle et vilipendée par Cicéron). En contrepoint viennent les récits déchecs retentissants : Priape fui par les Nymphes (Ovide, Fastes) ou Socrate repoussant les avances du bel Alcibiade (Platon, Le Banquet). Les textes suivants présentent les théories des Anciens sur lamour. Platon rend compte des lois de lattraction amoureuse par la séparation en deux des androgynes, hommes et femmes primordiaux, qui tentent depuis lors de retrouver leur «moitié» perdue. Mais de nombreux auteurs (notamment les philosophes épicuriens et les médecins) ont analysé le sentiment amoureux comme une maladie à laquelle on doit préférer les joies simples du sexe.
Viennent ensuite des textes sur les prolégomènes de lamour. Il sagit de savoir qui lon peut séduire, et à quel âge. A Athènes, les femmes mariées et les jeunes filles libres sont surveillées de près. Lamour des garçons nest pas plus facile, quand il a lieu entre hommes libres, la pédérastie restant une institution très codifiée. Les amours ancillaires ou tarifées sont ainsi facilitées. Les sources antiques nous dévoilent également les lieux de rencontre préférés des séducteurs et des amoureux. Les meilleures occasions se trouvent naturellement, pour les amateurs de jeunes éphèbes, dans les gymnases et les palestres, mais également sur les places publiques, les promenades ou dans les banquets. A Rome, comme nous le montre Ovide dans lArt daimer, les spectacles permettent de faire une cour discrète mais efficace à sa jolie voisine. Dans de nombreux cas, il sagit en fait de guetter les moments propices.
Une part non négligeable des extraits proposés ici évoque les canons de beauté de lépoque : la clarté du teint et des cheveux est généralement appréciée, dautant plus quelle semble avoir été rare. Le poil est, pour les hommes comme pour les femmes, lennemi de la beauté. Les gestes et les attitudes ont aussi leur importance. Ainsi, une femme qui rougit est déjà à moitié conquise ; au banquet, boire dans la même coupe que lêtre désiré équivaut à un baiser. La parure nest pas à négliger. Si certains dénoncent les périls des produits cosmétiques antiques (empoisonnement à la céruse, teintures abîmant les cheveux
), tous ne font pas lapologie du naturel. Des auteurs comme Ovide ne se privent pas de donner des conseils aux femmes pour mettre en valeur leurs atouts ou même créer leur beauté de toutes pièces. Tous les domaines sont explorés, de la démarche au vêtement en passant par les attitudes, les bijoux ou les parfums. Des stratégies particulières peuvent également être appliquées, comme lart de bien sentourer (rien de tel que de choisir pour compagnes des amies un peu moins jolies), lart des beaux discours ou les manuvres visant à exciter la jalousie de lêtre aimé.
Quand il sagit de faire sa cour, cest généralement à lhomme de faire les premiers pas. Le jeu est dautant plus ardu que les belles sont surveillées. Les courtisanes, elles, ont souvent le verbe haut et ne se laissent guère impressionner. Ovide conseille quant à lui les banalités, assorties de politesses et de compliments, pour se montrer sous un jour flatteur sans pour autant être insistant. illades et billets doux ont aussi un rôle à jouer. Les cadeaux sont souvent le meilleur moyen dattendrir les curs des filles, ou des garçons, mais aussi ceux de leurs pères. Avant-goût des étreintes, le baiser est généralement promesse de jouissances délicieuses. Pour les Romains, les baisers des pueri delicati semblent même être considérés comme une volupté supérieure au coït (voir à ce propos louvrage de Thierry Eloi et Florence Dupont, LErotisme masculin dans la Rome antique, Belin, 2001). Il sagit surtout, à un moment donné, de déclarer clairement sa flamme, ce qui est parfois difficile, par exemple pour la Phèdre de Sénèque. Mais il arrive que la proie résiste et choisisse de se faire désirer avant de sabandonner. Il peut sagir bien souvent dune tactique pour obtenir ce que lon veut de lamoureux, notamment un mariage. Ou bien, quand elle sest donnée, la belle songe à réveiller lamour assoupi en le piquant au vif. Vient ensuite létape décisive des ébats sexuels. Les textes ne sont pas ici les plus explicites, à part dans les épigrammes ou les conseils dOvide à la femme pour choisir la position la plus à son avantage pour le coït.
Si lamour nest pas payé de retour, il reste, en désespoir de cause, les stratagèmes amoureux que constituent les larmes, les ruses, mais aussi les philtres, potions et envoûtements auxquels se révèlent expertes nombre danciennes courtisanes ne pouvant plus vivre de leurs charmes. Dans le monde des dieux, Zeus nhésite pas à recourir à la métamorphose pour parvenir à ses fins, tandis que certaines Nymphes demandent à être transformées en végétaux pour échapper à leurs poursuivants divins (Daphné avec Apollon, Syrinx avec Pan). Pour lhomme qui désire sans être désiré, il reste toujours la possibilité davoir recours à la violence. Le rapt est en effet au cur de nombreux récits consacrés à des histoires damour, et il peut avoir des conséquences désastreuses, comme le souligne Hérodote qui y voit, depuis Io, Europe, Médée ou encore Hélène de Troie, les origines lointaines du ressentiment qui conduit aux guerres Médiques.
Cependant, même si lamour est partagé, il sagit de le faire durer. En effet, rares sont les vainqueurs qui, comme Philémon et Baucis, saiment au soir de leur vie comme à laube de leur passion. Ovide consacre ainsi un livre entier de son Art daimer aux moyens de changer une passion ou une passade en amour durable. Mais la rupture est parfois inévitable, en raison des circonstances hostiles, du poids des traditions, des obligations, ou tout simplement de lusure du quotidien entraînant le désamour. Celles qui sont délaissées peuvent faire montre dune violence peu commune, comme Jason ou Enée lapprennent à leurs dépens. Ovide apporte aux délaissés des raisons de se consoler dans ses Remèdes à lamour. De plus, mariage et amour ne vont pas toujours forcément de pair dans lAntiquité. Lunion matrimoniale constitue en effet avant tout un contrat et une communion dintérêts entre deux familles, où largent et la production dhéritiers ont généralement plus dimportance que les sentiments.
Ce florilège de textes antiques, qui aurait peut-être davantage gagné à distinguer les amours mythiques des amours «réels», et dont larticulation des textes au plan paraît parfois un peu superficielle, offre néanmoins une initiation riche et intéressante sur le sujet, avec des textes parfois peu connus et souvent savoureux, voire comiques. Ce vaste tableau est suivi en annexe dun texte de lhumaniste Marsile Ficin commentant Le Banquet de Platon, et opérant la synthèse entre les traditions néo-platoniciennes, hermétiques et chrétiennes. Cest chez lui que par la suite les poètes érotiques puiseront les éléments de représentation de lamour «platonique», tout en les affadissant considérablement. Miroir déformant dune trompeuse familiarité qui nest pas sans piège pour ceux qui étudient lamour et la sexualité des Anciens, dont les normes morales étaient bien éloignées des nôtres
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 09/09/2008 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Cerveau, Sexe et Pouvoir de Catherine Vidal , Dorothée Benoit-Browaeys Sexe et pouvoir à Rome de Paul Veyne L'Homosexualité féminine dans l'antiquité grecque et romaine de Sandra Boehringer | | |
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