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Une cathédrale pour le Poverello
André Vauchez   François d'Assise - Entre histoire et mémoire
Fayard 2009 /  28 € - 183.4 ffr. / 548 pages
ISBN : 978-2-213-61886-9
FORMAT : 14cm x 22cm

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.
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Quoi de plus écologique qu’un saint qui parlait aux oiseaux ? Quoi de plus révolutionnaire, dans nos sociétés consuméristes, qu’un vœu de pauvreté ? Quoi de plus radical, au temps de l’individualisme triomphant, que le choix d’une rupture complète avec la société et ses valeurs ? Quoi de plus moderne qu’un Saint François d’Assise dans un monde que l’Eglise irrite, indiffère ou déconcerte ? Faire l’histoire de la vie d’un saint peut paraître aléatoire, ou au contraire militant, mais pour l’historien qui se confronte tout à la fois au miracle, au surnaturel et à une ambition exotique, il s’agit bien là d’un défi, et du choix d’une voie étroite, entre hagiographie et hypercriticisme. Bref, une lecture de l’histoire qui suppose tact et empathie.

Professeur d’histoire médiévale à l’université de Nanterre, ancien directeur de l’Ecole française de Rome, membre de l’Institut, André Vauchez est un spécialiste réputé d’histoire médiévale et particulièrement religieuse. Ses travaux sur les saints, les laïcs, les sanctuaires… font autorité. Ce Saint François vient, sinon couronner, du moins signifier une étape pour le grand spécialiste de la religion médiévale, comme une dette réglée avec l’Italie et avec un saint qui, sans doute plus que d’autres, a sa place dans le panthéon des médiévistes.

L’histoire personnelle de François d’Assise suffisait-elle à une biographie de saint François ? Plus simplement, quand la vie d’un saint fondateur d’un des ordres majeurs de l’histoire de l’Eglise s'arrête-t-elle ? André Vauchez répond d’emblée à cette question en choisissant de dépasser le cadre de la seule vie du frère, pour – logiquement – s’intéresser à l’individu, au saint, mais également à «son» ordre et à sa postérité. François d’Assise ne sera pas l’arbre qui cachera la forêt, il est au contraire la poutre maîtresse d’une construction historique. L’ouvrage, qu’il faut comparer au Saint Louis de Jacques le Goff (lequel, on s’en souviendra sans doute, professait pour le saint d’Assise la même ambition biographique que pour le roi de France) distingue le personnage et sa fortune, au sens antique du terme. On va donc de François aux Franciscains, des Franciscains au franciscanisme, et, plus largement, au «moment» mendiant dans l’histoire religieuse de l’Europe. Une fortune qui s’étend jusqu’à nos jours.

Car François d’Assise est, il faut bien le constater, peu connu, et son tombeau, ciselé par l’hagiographie, nous cèle le vrai personnage. Sa jeunesse, immergé dans le milieu de la bourgeoisie urbaine et montante d’Assise, ne le désigne pas aux historiens. A. Vauchez commence donc par replacer le futur saint dans son contado, et dans sa ville, ses valeurs, la culture de son temps. Le jeune homme, appartenant à la bourgeoisie conquérante d’Assise, est un rien turbulent, fais la guerre à cheval, est capturé… une jeunesse qui devrait l’emmener loin, ou plutôt haut… et qui finalement le porte de fait loin de sa famille, vertige de la rupture totale. Le chemin (les chemins ?) de Damas passent par les Pouilles et une conversion qu’il faut recréer, en dépit des réécritures de l’hagiographe T. de Celano : c’est là un exercice plaisant, et A. Vauchez, au détour d’une réflexion, fait même le lien entre la conversion de François, le modèle érémitique dans sa logique la plus radicale et des valeurs chevaleresques exacerbées. Une belle démonstration pour une question qui reste fondamentale dans les trajectoires de saints, celle de la rupture.

Reste le choix d’une vie religieuse originale, à la règle très débattue (et finalement, dans une certaine mesure, «dénaturée» par l’Eglise) : certes, A. Vauchez, dans un rapide tour d’horizon, démontre combien le siècle est propice en solutions alternatives (aux modèles clunisien et cistercien) et combien les laïcs, bien malgré l’Eglise, investissent le champ religieux (la canonisation d’Homebon de Crémone valant reconnaissance officielle du phénomène). Mais il y a dans l’expérience franciscaine une radicalité communicative : mettre sur un même pied aristocrates, bourgeois et pauvres, y convier des femmes, faire œuvre de prédication tout en rejetant le monde : les débuts du groupe sont scrutés à la loupe, pour en saisir la dynamique originelle. Une dynamique qui, une fois de plus, se heurte aux canons de l’hagiographie, et il faut toute la nuance critique (jointe à une solide pédagogie) de l’auteur pour que le lecteur, candide, ne tombe pas dans les pièges du genre. En particulier, dans un chapitre intitulé – éloquemment – «La seconde mort de François», A. Vauchez pose la question de la survivance immédiate de l’idéal franciscain, comme une lutte entre l’orthodoxie ecclésiastique et l’orthopraxie du fondateur (lequel, décédé, rentre finalement dans le rang, jusque dans l’élection de sa sépulture). A la lecture, on finit par se demander ce qu’il reste de François d’Assise, sinon une «utopie» (c’est du reste le terme utilisé par l’auteur). Une réflexion importante, sur l’avenir d’un idéal religieux confronté aux réalités institutionnelles et humaines : cette même vision, qui libère le jeune François d’Assise des conventions de son temps, le retrouve finalement piégé dans une communauté qui se structure : comme Jésus sur la croix, François a finalement connu le doute.

Les grands épisodes de la vie de François sont repris et commentés : depuis la malédiction paternelle et les premiers pas de la communauté, jusqu’à la rédaction des règles de l’ordre (il faut bien satisfaire Rome) et les doutes d’un François vieillissant, en passant, last but not least, par la célèbre (et mystérieuse) entrevue avec al-Kamil à Damiette, ou encore l’épisode des stigmates. Ce dernier épisode pose, on s’en doutera, un problème à l’historien, qui découple l’homme et le saint, analysé dans une seconde partie. Sans instruire à rebours un procès en canonisation déjà conclu, A. Vauchez s’interroge et laisse ses doutes, méthodologiques, en suspens, se restreignant, faute d’informations, à replacer le motif des stigmates dans l’économie générale de la sainteté médiévale. Un constat : le miracle demeure une affaire complexe à instruire pour l’historien, mais avec prudence et subtilité, A. Vauchez sait éclairer sans trancher ni s’engager. On ne ressort pas de l’ouvrage converti, mais certainement éclairé. Autre chapitre en forme d’écho à cette vie qui se signale, les «lectures médiévales et contemporaines» de François éclaire la radicalité du message franciscain, jusqu’à l’inclure dans un discours eschatologique inattendu. Et c’est là l’un des points originaux, car longuement développé, de ce maître ouvrage : une réflexion très creusée sur la mémoire de François et ses lectures diverses jusqu’à nos jours (de Luther à Renan…). Plus qu’une seule biographie – déjà très réussie – il s’agit bien d’une réflexion sur le phénomène : le modèle du Saint Louis s’impose au lecteur, conquis.

Il y a des ouvrages qui sont un peu comme des clefs de voûte dans la carrière de leur auteur, à la fois un aboutissement et le résultat d’un lent travail d’édification, avec ses fondations, ses audaces architecturales et le résultat, visible de loin et destinée à demeurer. Ce saint François d’Assise relève de ce genre, celui où l’historien délaisse les objets d’histoire (le sanctuaire, la sainteté, l’expérience laïque… autant de pas vers le «cas» François d’Assise) pour se frotter à l’humain. Et le style, pénétrant et clair, a la sobriété des classiques : pas d’envolée lyrique ni de mysticisme exacerbé, le travail solide de l’historien adossé à ses livres, ses questionnements et ses recherches… et un vrai plaisir de lecture, tant pour le spécialiste - qui discernera, dans les réflexions du professeur Vauchez, des questionnements, des problématiques, autant de pistes pour réfléchir - que pour le simple amateur d’histoire, qui découvrira un saint François à sa portée, non pas figé comme une statue ou dans un discours, mais accessible, parce que finalement vivant. Au final, une relecture dense, riche, ambitieuse, enthousiasmante du Poverello, et assurément un maître ouvrage, le digne pendant italien du Saint Louis de J. Le Goff.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 14/07/2009 )
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