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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
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La patronne de l'Europe et des journalistes vous parle | | | Catherine de Sienne Les Lettres (Tomes 2 & 3) Cerf - Sagesses Chrétiennes 2010 /
- Tome 2, Lettres aux rois, aux reines et aux responsables politiques, 267 p., 25 , ISBN : 978-2-204-07714-9
- Tome 3, Lettres aux laïcs (1), 231 p., 24 , ISBN : 978-2-204-07715-6
L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'État dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen. Imprimer
Ce site a signalé maintes parutions concernant François dAssise ; sa compatriote Catherine de Sienne (1347-1380) est une autre figure majeure de la foi médiévale, comme lui admirée et canonisée peu après sa mort (1461). Même si elle marque moins notre mémoire que le «Poverello», Catherine impressionna ses contemporains et les élites de son temps, par sa vie mystique et son engagement pour la paix et une chrétienté évangélique et fraternelle. Illettrée, ignorante du latin, cette moniale nous a laissé une uvre écrite abondante, quelle dictait à ses surs dominicaines, où l'on trouve aussi bien des traités et des correspondances : en 1970, Paul VI jugea que cette uvre devait valoir à Catherine le statut de «Docteur de lEglise», à linstar de Sainte Thérèse dAvila, qui obtint le diplôme posthume en même temps. Depuis lors, lEglise de Vatican II fête ensemble le 29 avril ces deux exemples de sainteté féminine et de vie monastique et mystique parfaite.
A lexaltation de ces héroïnes de la foi, destinée à prouver au monde (médiéval et moderne) lattention permanente de lEglise à légard des femmes et de la condition féminine, sajoutait peut-être dans le cas de Catherine la volonté de rappeler légale dignité des pauvres : Catherine était née, comme François dAssise, dans la roture urbaine, certes celle, en plein essor, des marchands et artisans des villes dynamiques de lItalie du nord (quon lise à ce sujet Yves Renouard !) et non dans les plus basses catégories de la population, mais cétait après tout une simple fille de teinturier. Les adjurations pour la paix entre les cités-États dItalie, pour la concorde entre princes chrétiens, pour la fin du schisme dOccident (aux origines politiques) et pour le retour de la papauté à Rome ont aussi valu à Catherine la reconnaissance de lEglise et le titre de sainte, mais aussi celui de co-patronne de «lEurope», aux côtés de saint Benoît.
Il faudrait savoir au juste pourquoi cest aussi à elle qua été confié le patronage sur les mass media : un souci des hommes en ce bas monde et un hommage à sa volonté dinformer sans cesse les puissants de la situation de la chrétienté et de rappeler les idéaux de la charité et de la vertu (sur le modèle de la cité céleste) aux gouvernants ? Sans doute. On trouve les analogies que lon peut, au XXe siècle, dans la société médiévale et, quand on parle aux laïcs, dans celle des saints. LEglise ne disposait pas de tant de correspondants sur le front de lactualité et limage de Catherine pouvait véhiculer, toutes choses égales, un idéal chrétien dengagement dans la cité. Tous ces traits justifient de traduire et éditer les uvres de Catherine non seulement dans une collection de spiritualité chrétienne, mais à titre documentaire pour ceux que lhistoire de la chrétienté du XIVe siècle intéresse. Et pour lhistoire des femmes au Moyen âge, ces volumes complèteront par exemple celui quon a signalé sur une autre Italienne, autre grande figure, elle aristocratique et de la génération suivante, Christine de Pisan.
Il y a du Jeanne dArc dans Catherine de Sienne. Celle qui se nommait «servante et esclave des serviteurs de Dieu» avait trouvé dans une vision mystique linspiration dune mission divine ; se croyant mandatée par Dieu pour rappeler humblement mais énergiquement à leurs devoirs les grands de ce monde, elle les harcela de ses 400 lettres et parfois de ses visites, au mépris de sa propre santé et avec une assurance qui stupéfia ceux à qui elle sadressait. Et il fallait quelque audace pour expliquer leurs devoirs à lirascible Urbain VI, à Jeanne de Naples la reine débauchée, à larrogant et dangereux condottiere anglais John Hawkwood, ou aux princes de Sienne et même aux doctes théologiens
Certes Catherine le fait avec humilité et dans un esprit de charité, certes le christianisme enseigne que les humbles peuvent être plus inspirés que les savants des universités et les saints venir des pécheurs et des artisans, mais Catherine pouvait aussi passer pour une folle qui se mêlait de ce quelle ne comprenait pas ! Elle se fit lire et entendre sans doute parce que ses interlocuteurs reconnurent en elle une ardeur évangélique sincère doublée dune intelligence politique réelle et dune vie de sainteté, austère et charitable, et quils entendirent dans son message un rappel (sans appel !) à la cohérence avec la foi, porté avec charisme par une âme habitée, méprisant les conventions et prête au martyre. Sa mort prématurée à 33 ans témoigne quelle ne séconomisa guère, ce qui renforça son autorité morale posthume.
Les lettres exhortent sans fin (dans le vigoureux patois du petit peuple de Sienne, quon ne sent plus guère en traduction) ses contemporains à vivre selon la religion, chacun en remplissant ses devoirs détat là où Dieu la mis. Au cur dun réseau occidental très riche, Catherine sadresse aux différents ordres (nobles et roturiers, comme clercs dailleurs), aux différentes catégories socio-professionnelles (commerçants, artisans, artistes, médecins, juristes), aux confréries laïques (tome 3); elle écrit aussi aux rois et aux reines et aux responsables politiques (tome 2). A ses disciples et à ceux qui la consultent, elle prodigue ses conseils et ses encouragements ; aux autres, elle rappelle les commandements, lurgence de la paix entre États, de la réforme dans lEglise et de la justice partout dans les relations sociales. A loccasion, elle se fait ambassadrice : entre Florence et la papauté, ou pour ramener le pape dAvignon à Rome. Il faut toutefois se méfier des hagiographies et des analogies : si les éditeurs voient chez elle une sorte de «doctrine sociale», adaptée au XIVe siècle, la paix et la justice chez Catherine ne se séparent pas de lobéissance à lordre naturel et divin de la chrétienté féodale et princière, ni de la Croisade pour «libérer» Jérusalem et bouter les Turcs loin de lEurope. Une menace, certes, mais aussi des «infidèles» !
Chaque tome est soigneusement préfacé et annoté, de façon à rappeler le contexte historique et à éclairer les allusions du texte. Pour saisir rapidement le parcours de Catherine, on pourra aussi se renseigner dans les dictionnaires dhistoire du Moyen âge ainsi que dans lhistoire de lItalie du XIVe siècle et dans celle de lEglise en Occident. Comme ces volumes ne comportent aucune illustration, un tour dans la peinture du Quattrocento ne sera pas sans intérêt esthétique et historique. Ainsi le tableau de Pinturicchio représentant la canonisation par Pie II le jour des saints Pierre et Paul de lan 1461, et au bas duquel le peintre se montre en dévot tenant un cierge, à côté de son ami Raphaël et du dominicain Fra Angelico. Hommage à une sainte qui avait su parler aux artistes ? Eux qui commençaient à signer leurs uvres étaient fiers de sassocier le patronage de la sainte : superbe tableau où tant de personnalités marquantes sont soudain réunies. Cette cérémonie commémorée immédiatement par la peinture fut un des actes les plus populaires du pape : la reconnaissance par lEglise dune grandeur déjà reconnue par le peuple.
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 31/08/2010 ) Imprimer
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