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Un moine puissant entre histoire et hagiographie
Pierre-André Burton   Aelred de Rievaulx (1110-1167) - Essai de biographie existentielle et spirituelle
Cerf - Histoire 2010 /  39 € - 255.45 ffr. / 650 pages
ISBN : 978-2-204-09033-9
FORMAT : 14,6cm x 21,4cm

L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé d’histoire et prépare une thèse en histoire médiévale.
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Aelred, qui a été à la tête de l’abbaye cistercienne de Rievaulx, en Angleterre, de 1147 à 1167, est un auteur relativement connu. Nombre de ses œuvres ont été traduites en français, et les études à son sujet se sont multipliées ces vingt dernières années. Il est ainsi célèbre principalement pour sa réflexion sur l’amitié, et pour son homosexualité tantôt supposée, tantôt rejetée. Le livre de Pierre-André Burton, qui est un excellent connaisseur de l’œuvre d’Aelred, offre au lecteur francophone une synthèse plus globale sur la vie et l’œuvre de cet abbé. Celui-ci ne fut pas seulement un auteur monastique de textes “spirituels”, mais aussi un homme puissant, engagé dans la politique de son temps.

Aelred est en effet né vers 1110 dans un milieu ecclésiastique anglais : son père était chargé de la paroisse d’Hexham, transmise de père en fils comme cela se faisait à l’époque. L’application de la Réforme Grégorienne met fin à cette situation en 1114. Aelred fait quelques études, avant d’être envoyé, vers 1124, à la cour du roi d’Écosse, David, pour y être élevé (nutritus). C’est dans ce milieu qu’il grandit avant d’y occuper une fonction administrative de premier plan à partir de 1131-1132. Il est peu après chargé d’une importante mission auprès de l’archevêque d’York. Il quitte cependant la cour pour entrer, en 1134, à l’abbaye de Rievaulx, premier monastère cistercien d’Angleterre fondé seulement deux ans auparavant. En 1141, en raison d’un conflit pour la succession de l’archevêché d’York, il est envoyé à Rome. À son retour il occupe des fonctions de maître dans le monastère, puis fonde en 1143 le monastère de Revesby qu’il dirige jusqu’en 1147, date à laquelle il est élu abbé de Rievaulx. Pendant ses vingt années d’abbatiat, il suscite de nombreux dons qui enrichissent considérablement le monastère. À sa mort, celui-ci accueillait quelques 140 moines et 500 convers. Aelred s’est donc trouvé à la tête d’une puissante institution, et entretenait des liens aussi bien en Angleterre qu’en Écosse. C’est à ce titre qu’il a écrit différentes œuvres “historiques” adressées notamment à Henri II, dans lesquelles il donne des leçons de bon gouvernement. C’est un des mérites de ce livre que de mettre en valeur cette action politique de l’abbé, tout en l’intégrant dans l’ensemble de sa réflexion théologique. En outre, les présentations sont claires, et le contexte toujours efficacement rappelé, si bien que le lecteur ignorant de l’histoire anglaise s’y retrouve avec la plus grande aisance.

Ce n’est toutefois malheureusement pas là l’intention principale de Pierre-André Burton. Moine cistercien lui-même, il connaît intimement l’œuvre spirituelle de l’abbé de Rievaulx avec laquelle il semble entretenir un rapport de foi autant, sinon plus, que de critique historique. Son «essai de biographie existentielle et spirituelle» se rapproche alors bien souvent de l’hagiographie plus que de l’essai historique. Le projet explicite lui-même est déroutant : «Aussi bien notre désir vise-t-il à présenter la physionomie humaine, spirituelle et monastique d’Aelred à partir de ce qui habitait l’intime de son cœur, convaincu que seul ce point d’ancrage dans l’«intime du cœur» nous permettra de proposer une vision aussi unifiée que possible des multiples facettes, tant de sa personnalité que de ses diverses et nombreuses implications dans la vie sociale, politique et ecclésiale de son temps» (p.39). Or, l’on se demande bien comment pénétrer dans l’«intime du cœur», sinon en acceptant de répéter ce qu’écrivent Aelred et son hagiographe Walter Daniel. C’est d’ailleurs ce que fait P.-A. Burton : il reconstitue ainsi un parcours de vie caractérisé par une quête d’unité qui, fondée d’abord sur une visée personnelle, est progressivement étendue à toute la société voire au cosmos. Mais, ce-faisant, l’historien ne fait que prolonger le projet hagiographique de Walter Daniel…

Cette perspective se double d’un angélisme souvent déroutant. Non seulement les “sentiments” énoncés par Aelred ou son premier biographe sont considérés comme l’expression véridique de l’«intime du cœur», mais les justifications rhétoriques y compris sont acceptées comme telles. Sans vouloir remettre en question la vertu du roi David d’Écosse, nous nous permettrons tout de même de douter que sa cour ait été une «école de sainteté et de piété» (p.108) dans laquelle régnait «ce climat de charité fervente et de piété intense» (p.532). S’il n’est pas douteux qu’Aelred ait pu ainsi décrire cette cour, fallait-il pour autant le considérer comme une réalité historique ? De même, sans nier l’honnêteté d’Aelred, il paraît douteux qu’il ait été choisi comme médiateur parce ce qu’il «possédait déjà ces deux vertus (justice et vérité) à un haut degré de perfection et qu’il était par ailleurs animé d’un si vif désir de voir régner la paix» (p.400). L’ensemble du livre est guidé par cette perspective et ponctué de remarques semblables. Il s’ouvre d’ailleurs par une nécrologie médiévale fictive et se clôt par une vraie prière du XXIe siècle, autant d’éléments que l’on est surpris de rencontrer dans une collection intitulée «Histoire».

On ne sera, en revanche, pas étonné que la question de l’homosexualité d’Aelred soit escamotée. Depuis les études de J. Boswell (Christianisme, tolérance sociale et homosexualité. Les homosexuels en Europe occidentale des débuts de l’ère chrétienne au XIVe siècle, Gallimard, 1985) qui n’est d’ailleurs pas cité en bibliographie, Aelred est souvent présenté comme le symbole de l’existence d’une «culture gay» au Moyen Âge. Cette thèse est très probablement exagérée, et Aelred a lui-même condamné l’homosexualité. En revanche, il est certain que nombre de ses textes présentent de façon très ambigüe l’amitié masculine : cette question aurait mérité d’être traitée pour elle-même dans un aussi gros ouvrage de synthèse, alors qu’elle n’est que survolée (pp.140-143).

Ces biais épistémologiques, auxquels on pourrait ajouter l’anachronisme quand l’auteur évoque l’«identité nationale» du père d’Aelred (p.76), sont d’autant plus regrettables que les analyses doctrinales sont souvent très intéressantes et convaincantes. L’auteur montre très bien l’unité de la pensée d’Aelred. Il fournit des analyses approfondies de l’amitié, qui, à juste titre, n’est pas seulement perçue comme un sentiment, mais comme la clé d’un système – construit progressivement ‑ qui permet de penser l’unité de la personne, de la communauté, de la société et du monde. Son analyse théologique inclut une perspective ecclésiologique et politique, et annonce, quand il s’agit de montrer l’unité du cosmos, une conception du monde que l’on retrouve notamment dans les tragédies de Shakespeare.


Emmanuel Bain
( Mis en ligne le 23/11/2010 )
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