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amicitia, amicabilitas, societas, benevolentia, caritas... | | | Jacques Follon James McEvoy Sagesses de l'amitié - Volume 2, Anthologie de textes philosophiques patristiques, médiévaux et renaissants Cerf - Vestigia 2003 / 38 € - 248.9 ffr. / 531 pages ISBN : 2-204-07215-X
L'auteur du compte rendu : Sophie Delmas, professeur dhistoire et géographie, est actuellement allocataire de recherche à Lyon 2 où elle prépare une thèse en histoire médiévale. Imprimer
En 1997, Jacques Follon et James McEvoy avaient proposé un premier florilège de textes philosophiques anciens consacrés à lamitié, essentiellement empruntés aux auteurs païens. Le second volume qui vient de paraître fera le bonheur des philosophes, des historiens et des amis (!) puisquil propose une anthologie analogue pour les auteurs chrétiens de la période patristique, du moyen âge et des premiers temps de la Renaissance.
Evidemment, la matière était dense et les genres littéraires multiples. Les deux auteurs ont donc été confrontés à un choix difficile. Pour ce faire, ils ont préféré se consacrer à la prose, délaissant ainsi la poésie, pourtant très riche à ce sujet. Ils ont sélectionné les passages les plus beaux et les plus révélateurs qui comportaient le champ lexical de lamitié, tels amicitia, mais aussi amicabilitas, societas, benevolentia ou caritas. Le résultat est impressionnant, aussi bien en quantité - plus de cinq cents pages ! - quen qualité puisque sont proposées une large palette de textes, allant de la lettre au quodlibet, mais également une grande diversité dauteurs (vingt-neuf en tout). Certains sont connus à linstar de Thomas dAquin, dautres moins telle Gertrude de Helfta, si bien que pour quelques-uns dentre eux, la traduction française est une première ! Tout choix est subjectif et lon pourra toujours sétonner de la grande place donnée à Thomas dIrlande, lui-même compilateur, du peu de pages consacrées à Bernard de Clairvaux, et de labsence de François dAssise. Cependant, le caractère novateur et limportance de cette sélection de textes sont dignes dintérêt.
Le maniement de louvrage est aisé et agréable. Le lecteur peut choisir de sintéresser à un auteur en particulier ; il trouvera alors quelques lignes de présentation et la bibliographie la plus récente le concernant. Il peut aussi puiser à sa guise dans lindex des termes français, auquel se mêlent les principaux mots latins et grecs du vocabulaire de lamitié.
Lintérêt de ce livre réside aussi et surtout dans sa longue introduction qui propose «quatre approches herméneutiques de la philosophie médiévale de lamitié.» Jacques Follon et James McEvoy ont en effet privilégié quatre thèmes : la continuité de cette philosophie avec celle des auteurs païens, limportance du cadre de vie dans lequel elle fut élaborée et vécue, le rôle joué par la transmission par les textes, les traductions, et enfin les apports plus ou moins novateurs de la foi chrétienne aux doctrines de lamitié et de la charité. La première partie sattache à montrer comment les principales écoles grecques de philosophie, aussi bien classiques quhéllénistiques, ont marqué les siècles suivants. Ainsi, Pythagore est surtout connu pour son célébre adage «entre amis, tout est commun.» Socrate, lui, est partisan dune forme éducative de lamour et de lamitié. Les stoïciens, représentés notamment par Sénèque et Platon, sont soucieux dune amitié vraiment universelle. A partir du XIIIe siècle, la pensée dAristote simpose à son tour, mais la réception de ses idées par la scolastique reste encore mal étudiée. Enfin ce nest quau début de lépoque moderne que lépicurisme se fait connaître. Ce tour dhorizon dense et clair contraste avec la partie suivante qui, en sefforcant de mettre en contexte la philosophie de lamitié, a parfois un caractère artificel. Cette étude est par définition complexe puisquil est difficile, sur une période aussi longue, de distinguer les multiples facteurs qui ont conduit un individu à écrire sur lamité. Les deux auteurs sont eux-mêmes conscients de certaines dérives qui ont amené des chercheurs à faire dAelred de Rielvaux un homosexuel ! La troisème approche, elle, renoue avec la première, puisquelle sinterroge sur la façon dont les textes ont été transmis et traduits. Le long passage sur Robert Grosseteste est particulièrement intéressant ; il montre la multiplicité de son savoir, puisquil fut à la fois traducteur et commentateur dAristote. Finalement, ce sont surtout les humanistes, par leur pratique et leur conception de lamitié, qui ont contribué à lapprofondissement des idées sur ce sujet. La dernière partie, malheureusement un peu trop rapide, sarrête davantage sur les auteurs patristiques et médiévaux et leur approche chrétienne de lamour et de lamitié ; la distinction de ces deux termes a ainsi exigé une réflexion sur le vocabulaire, aussi bien latin que grec. Chez ces auteurs, la référence reste la Bible et le paradigme de lamitié, le Christ.
Le choix des auteurs peut parfois surprendre, lintroduction aurait peut-être demandé quelques compléments, mais il nen reste pas moins que ce volumineux ouvrage constitue une anthologie précieuse et novatrice, qui faisait cruellement défaut à lhistoire et à la philosophie.
Sophie Delmas ( Mis en ligne le 17/03/2004 ) Imprimer | | |