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Aristocratie ou noblesse ? | | | Joseph Morsel L'Aristocratie médiévale - La domination sociale en Occident (Ve-XVe siècle) Armand Colin - U - Histoire 2004 / 24 € - 157.2 ffr. / 338 pages ISBN : 2-200-26293-0 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu : Pierre-Alexandre Vigor est actuellement en quatrième année de Doctorat détudes médiévales à la Sorbonne. Sa thèse, préparée sous la direction du Professeur Yves Sassier, porte sur le mot miles en Francia Occidentalis au Xe siècle. Imprimer
Commençons par une évidence : ce livre ne sintitule pas «La Noblesse au Moyen-âge» (titre déjà présent dans la même collection, écrit par Martin Aurell), et ce nest pas un hasard. Cette remarque est dimportance car elle sous-tend la compréhension de louvrage entier. Lauteur, Joseph Morsel, ne cherche pas à traiter la «noblesse» médiévale, mais bien plutôt lévolution des rapports de domination sociale durant dix siècles. Point de «catégorie sociale» ici, mais une histoire du Dominium, histoire donc de «la domination sociale à long terme d'un groupe restreint d'individus, au prix d'adaptations liées à l'évolution sociale générale, sans que ces adaptations (ni d'ailleurs le renouvellement généalogique) aient jamais remis en cause le mythe de la continuité du groupe.».
Le livre est découpé en sept chapitres, tous basés sur un couple de dominants «aristocratiques» : Sénateurs et guerriers, maîtres et fidèles, châtelains et chevaliers, prêtres et hommes darmes, seigneurs et vilains, nobles et bourgeois et enfin princes et gentilshommes. Lauteur ne cherche néanmoins pas à fixer des représentations, mais plutôt à rendre compte des dynamismes, tant exogènes quendogènes, des rapports de domination.
Joseph Morsel sintéresse ainsi non pas tant au rapport dominants/dominés, mais plutôt aux facteurs de pérennisation, volontaires ou non, des mécanismes de la domination sociale. Par exemple, là où de nombreux historiens ont tenté de déceler une continuité entre «noblesse» romaine et «noblesse» carolingienne voire capétienne, et où dautres ont voulu démontrer lexact contraire, lauteur propose uniquement un schéma dans lequel laristocratie romaine sest réorganisée au contact des barbares, et où lEglise a joué le rôle de nouveau cursus honorum pour toute une frange de lancienne aristocratie sénatoriale. J. Morsel axe souvent son récit autour du principe de légitimité. Pour lui, une aristocratie se définit par la volonté de chercher à légitimer sa position de domination. La militia regni carolingienne est ainsi au cur du chapitre 2 : par le service royal, voulu pour elle par lEglise, et les honores, laristocratie laïque pourtant déjà pourvue de terres et dhommes, se voyait légitimée localement. Autre exemple, plus tardif, le tournoi, qui dès le XIIe siècle caractérise dans l'inconscient collectif le mode de vie de la «noblesse médiévale». Selon Morsel, laristocratie laïque voyait en fait dans le tournoi un formidable jeu social permettant de renforcer les fidélités, et, surtout, qui «assurait le brassage autour des héritières au profit tant de ceux qui parvenaient à sillustrer par le tournoi que des détenteurs du capital matrimonial». Doù la réaction hostile de lEglise, certes opposée à lusage des armes hors des Croisades, mais qui voit avant tout dans ce phénomène la perte dun de ces principaux leviers de contrôle : le mariage, et par extension, le contrôle des états sociaux.
Ce livre, ardu, propose une approche neuve et intéressante en histoire médiévale. La dimension théorique et l'érudition évidente de l'auteur sacrifient parfois la problématique et la démonstration générale. Symptomatiquement dailleurs, la conclusion apparaît comme bien trop courte, en ce sens quelle ne tire pas tous les bilans quune telle démarche apporte à la médiévistique en général.
Retenons particulièrement limportance quaccorde lauteur au sens des mots, ainsi quà la nécessaire différenciation à opérer entre les concepts historiographiques, les mythes qui sy rapportent et les réalités médiévales, qui nous apparaissent bien souvent au travers de mots familiers (nobilitas), mais qui sont pourtant à (re)découvrir. En cela, Joseph Morsel semble rejoindre les intentions dAlain Guerreau, qui avait proposé un vaste chantier aux historiens dans LAvenir dun passé incertain (Seuil, 2001). J. Morsel cite dailleurs explicitement A. Guerreau dans son introduction, de sorte que ce livre même, sans présager néanmoins du lien intellectuel entre les deux historiens, peut-être pris comme une réponse à la demande d'A. Guerreau pour une histoire de lEcclesia et du Dominium.
Le projet général de ce dernier - la rénovation de la médiévistique - prend ici une tournure décisive ; ce livre est sa meilleure vitrine, expurgé des éventuelles polémiques sur le métier même, qui jalonnent LAvenir dun passé incertain.
Pierre-Alexandre Vigor ( Mis en ligne le 19/10/2004 ) Imprimer
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