| François Neveux L'Aventure des Normands - (VIIIe-XIIIe siècle) Perrin - Collection Pour l’Histoire 2006 / 22 € - 144.1 ffr. / 306 pages ISBN : 2-262-01977-0 FORMAT : 15,5 x 24 cm
L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions dhistoire des religions et dhistoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages dinitiation portant notamment sur le Moyen Age et sur lhistoire de lart. Imprimer
On pourrait faire le tour de ce livre, écrit dune plume aussi alerte que savante, sur le mode du paradoxe. Dabord et avant tout, les Normands de votre souvenir ne sont pas les Normands de lHistoire. Oubliez les premiers, qui relèvent plus de lhistoriographie du XIXe siècle que des connaissances scientifiques actuelles. La raison : cest que ces conquérants nont pas laissé de source écrite et nont à lorigine été étudiés quà travers les récits des ecclésiastiques qui en étaient fréquemment les victimes, ou encore par des poèmes épiques largement postérieurs aux faits quils prétendent relater. Aujourdhui, et derrière le maître «ès-normanie» que fut Lucien Musset, ce sont des équipes polyvalentes qui tentent de décrypter la réalité de laventure des Normands : lhistorien fait une analyse nouvelle des données écrites dont il dispose, quil sagisse de chroniques ou de sources juridiques, en sappuyant sur larchéologie, la toponymie et lonomastique.
Et nous voilà confrontés à un autre paradoxe : ces «hommes venus du Nord», avec qui les populations latines du début du Moyen Âge nont longtemps eu que de paisibles rapports de commerce, se révèlent, du IXe au XIe siècle, et pour des raisons encore mal éclaircies, comme des migrants aux profils variés. Les hommes de Rollon, Eric le Rouge et ses navigateurs du continent américain, les Hauteville en Italie du Sud, les Varègues de lempire byzantin nont guère en commun, à lorigine, que la langue quils parlent, même si un autre dénominateur commun doit être recherché dans leur esprit daventure.
Autre idée reçue quil convient de relativiser. Ces «envahisseurs» redoutés ne sont finalement que peu nombreux. Et la population de la Normandie, une fois le duché établi, est constituée de Normands, qui sont dabord
des Francs. En outre, dans les premiers temps de leur arrivée, les redoutables ennemis ne manquent pas de se sauver bien vite sils rencontrent quelque résistance ; ils pillent quand ils sont assez forts, et sen vont. Ce nest que lexpérience de la faiblesse des principautés où ils exercent leurs activités qui les incite dabord à imposer un tribut, avant de passer à une phase de prise en main directe. Et combien de ces aventures scandinaves se sont vécues sous la forme peu glorieuse dun simple mercenariat, au service de tel ou tel prince !
On pourrait continuer sur le mode de létonnement. Christianisés, ces païens se montrent tout autant capables de sappuyer et même de favoriser le prestige de lÉglise (concrètement, surtout les grandes abbayes) et de vivre, très officiellement, au milieu dun harem de concubines, parfaitement légalisées (contrairement aux habitudes contemporaines des autres princes) et où ils vont même jusquà chercher leur héritier ; Guillaume, dit le Bâtard avant dêtre le Conquérant, est un magnifique exemple du phénomène.
De lesprit daventure, on retient surtout les véritables épopées que furent les réussites des meneurs tels que Guillaume en Angleterre, les frères Guiscard, les croisés Bohémond et Tancrède. Partout pourtant, la phase des conquérants a été suivie dune période de difficultés successorales. Historiquement, la seule principauté scandinave appelée à un avenir durable lauteur en analyse bien le processus ce fut la Normandie, élargie aux dimensions de lAngleterre par la bataille dHastings, ce véritable «jugement de Dieu», perdue pour le roi anglais en 1204, mais dont la puissance territoriale allait, si lon peut dire, revivre dans le royaume Plantagenêt. Certes, toutes les «histoires de famille» qui nous sont racontées sont parfois un peu compliquées à suivre. Mais la méthode de F. Neveux est sans faille, qui présente et analyse à chaque étape les sources sur lesquelles il appuie son récit. Et cest une aventure bien ancrée dans lhistoire, la situation de son temps, les mentalités, quil nous rapporte.
On appréciera, tout au long de la solide étude de F. Neveux, la sûreté des connaissances et le souci de les faire partager à des lecteurs venus de tous horizons. Léditeur du livre sest prêté à ce propos pédagogique, par une mise en pages qui place les notes en fin douvrage, permettant une lecture continue du texte, et en assurant linsertion dun cahier de documents iconographiques amplement légendés. Généalogies, cartes, une solide chronologie, enrichissent les autres instruments de travail que constituent les bibliographies et lindex.
Jacqueline Martin-Bagnaudez ( Mis en ligne le 21/03/2006 ) Imprimer
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