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Histoire & Sciences sociales  ->  Moyen-Age  
 

Une reine barbare ?
Bruno Dumézil   La Reine Brunehaut
Fayard 2008 /  29 € - 189.95 ffr. / 559 pages
ISBN : 978-2-213-63170-7
FORMAT : 14,5cm x 22,5cm

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.
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Née vers 550, morte en 613, la reine Brunehaut (ou bien Bruna, Brunechilda…) est un peu oubliée : si, par miracle d’érudition, on se souvient d’elle, c’est plutôt le souvenir – le cliché – d’une reine «barbare», véritable préfiguration des Borgia, et qui termine dans un supplice affreux une existence dominée par la violence et les complots… Et si ce n’était le seul écueil, la période pose déjà la question des sources (5 lettres de Brunehaut nous sont parvenues… ce qui est beaucoup pour les souverains du temps, mais peu au regard des exigences historiennes) et des problématiques (pour un personnage dont la mémoire même – objet d’enjeux politiques – fut occultée). Bref, une biographie aux allures de défi !

Maître de conférences à l’université Paris X, Bruno Dumézil est probablement l’un de nos meilleurs et de nos plus talentueux spécialistes du haut moyen-âge. Après une étude remarquable et remarquée sur la christianisation de l’Europe, indépassable, on le retrouve pour une biographie. Le genre est suffisamment lesté de préjugés, chez les historiens, pour que l’on considère l’ouvrage avec curiosité… Et de fait, à la lecture, on est à nouveau conquis : un style clair et sobre, un humour discret qui rend la lecture légère, un grand talent d’exposition et la capacité d’expliquer simplement des affaires et des évolutions complexes. Le premier chapitre, en soi, est un modèle du genre : partant d’un plat en argent orné d’une scène de Virgile, l’auteur dresse un tableau à la fois riche, impressionniste et synthétique de la fin de l’empire romain et de l’avènement des royautés barbares. Du grand art.

Mais l’essentiel est bien évidemment dans ce portrait d’une reine, d’une femme, d’une «barbare» et d’une époque. Déplaçant judicieusement sa focale, B. Dumézil sait bousculer les préjugés et autres stéréotypes sans heurter son lecteur. Alors va pour le portrait de l’Empire (byzantin) et de l’Occident barbare, puis, en resserrant la focale, celui des Francs et de leurs royaumes, tout cela pour arriver, tout naturellement, au chapitre V, à l’entrée en scène de Brunehaut, fille du roi des Wisigoths, partie épouser Sigebert, roi d’Austrasie et petit-fils de Clovis. Le décor est planté. En 565, Brunehaut entre en Gaule mérovingienne, une Gaule compliquée qu’il ne faut pas aborder avec des idées simples. Dans un premier temps, B. Dumézil nous fait assister aux épousailles, et s’installe dans la haute société mérovingienne. Puis le lecteur entre dans le vif du sujet, l’actualité politique du temps : les relations difficiles avec les voisins comme avec Byzance, les conflits familiaux et leurs aléas, les mariages princiers, les guerres aussi… et la mort de Sigebert, assassiné en 575.

Voilà Brunehaut veuve et chargée de famille, de dynastie même (au nom de son fils, Childebert II). Et le lecteur découvre alors la complexité des ambiances familiales dans la dynastie mérovingienne, notamment du fait des coutumes et du rapport au pouvoir : disons, pour faire simple, qu’entre l’Austrasie et la Neustrie, deux royaumes mérovingiens, la guerre fait rage du fait des complots et conflits familiaux entre Mérovingiens, et des pratiques de guerre judiciaire (la faide). Confrontée à un beau-frère (Chilpéric, le roi de Neustrie) envahissant, la veuve se mue en femme politique, déploie ses atouts (re-mariage, re-veuvage…) et accède finalement à la régence en 584. La veuve du roi est enfin reine d’Austrasie, reine mère exactement… et B. Dumézil la prend au mot, et à la charge : il s’intéresse à son projet politique, à sa diplomatie habile, véritable realpolitik avant la lettre, à ses alliances, ses rivaux (et rivales), ses ambitions, ses drames (la mort de son fils Childebert II en 596).

Portrait, au final d’une «femme d’Etat» qui fit carrière (d’un royaume, l’autre… : après l’Austrasie, la Burgondie) - ce qui en soi n’était pas gagné – et d’une société. Une société cruelle pour les perdants : le temps de Brunehaut passé, ses alliés enfuis, Clotaire II l’accusera d’avoir participé au meurtre de 10 rois (quand on déteste, on ne compte pas), justifiant par là une exécution mémorable et une exécration qui vise également le cadavre (hors de question d’en faire une sainte !). Un «tombeau de feu» conclut une existence mouvementée.

L’un des plaisirs de l’historien n’est pas seulement d’établir la vérité des faits, mais également de reconstituer les mécanismes de la légende, ou du moins, de la réputation. B. Dumézil sait ainsi ne pas s’arrêter à la mort ignominieuse de 613, mais, au contraire, il retrace la postérité – ou la fortune – de la reine Brunehaut qui, comme le roi, ne meurt jamais. Et sa fortune est originale à de nombreux titres, alternant la légende noire de la reine maléfique, quasi sorcière (qui envoûte un prince pour le conduire à la mort) et la figure, plus majestueuse, de la première reine de France, croisant les Grandes chroniques de France et Boccace… voire la légende des Niebelungen, où le couple Sigurd-Brunehilde pourrait être un lointain écho de Sigebert et Brunehaut… Une postérité «héroïque» pour le moins inattendue.

Et comme l’auteur sait aussi faire montre d’érudition – juste pendant à un esprit de synthèse et un art du récit remarquables –, les annexes de cette biographie incongrue sont riches : arbres généalogiques (ce qui n’est pas du luxe au regard de la complexité des intrigues familiales) et «preuves» (à savoir les fameuses lettres de Brunehaut qui nous sont parvenues) viennent étayer une biographie magistrale, et entrouvre, au lecteur curieux, une méthode de travail et un monde historiographique, celui du haut moyen-âge. La bibliographie, les sources, les notes, l’index et – plus généralement – ce que l’on désigne comme l’appareil scientifique, sont impeccables et soulignent la richesse du texte.

Le haut moyen-âge et l’Occident barbare ne sont pas forcément les thèmes les plus plébiscités par les amateurs d’histoire et sans doute manquait-il aux Mérovingiens un historien à la fois érudit et doté d’une plume assez relevée pour donner à cette période foisonnante l’allure d’une fresque. C’est chose faite avec cette belle biographie qui, loin de se limiter à un seul personnage, brosse finement le portrait d’une société et d’une période, pose des questions qui, au-delà de l’individu, touchent à la mémoire des origines, à l’édification de l’Etat. Une biographie qui, si elle n’était aussi bien sentie, serait déjà le prétexte à une belle synthèse sur le haut moyen-âge. Une lecture pour se convertir à une période et à une historiographie fascinantes.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 09/07/2008 )
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