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La souveraine ambiguë
Fanny Cosandey   La reine de France - Symbole et pouvoir, XVe-XVIIIe siècles
Gallimard - Bibliothèque des histoires 2000 /  25.19 € - 164.99 ffr. / 414 pages
ISBN : 2-07-075650-5
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Il y a un paradoxe des reines de France : alors que la loi salique exclut les femmes de la succession au trône, alors que la reine régnante demeure dans l’ombre de son époux, exclue du pouvoir politique, c’est le plus souvent une femme qui exerce la régence pendant les minorités royales. C’est pour résoudre ce paradoxe de la régence et, plus largement, pour comprendre la place de la reine dans l’ancien édifice monarchique que Mme Fanny Cosandey a entrepris une enquête sur la « première dame » du royaume des lis. Placée sous le signe du temps longs, des origines de la monarchie jusqu’à la Révolution, l’étude se concentre cependant sur les XVIe et XVIIe siècles, âge de fréquentes régences féminines – Louise de Savoie, Catherine de Médicis, Marie de Médicis, Anne d’Autriche.

Mme Cosandey étudie d’abord le statut juridique de la reine. Celui-ci est en fait assez incertain, et les auteurs divergent sur le rôle réel de la souveraine, détentrice de prérogatives propres ou de simples attributs honorifiques. Sans doute la fameuse loi salique exhérède-t-elle les femmes, mais sa formulation est tardive. Au XIVe siècle, on a vu Mahaut, comtesse d’Artois, soutenir la couronne parmi les pairs de France, on a vu les princes descendant de capétiennes faire valoir leurs droits au trône. La loi salique ne devient vraiment une loi fondamentale du royaume qu’au XVIe siècle : c’est sa réaffirmation, après la mort de Henri III, qui permet l’avènement des Bourbons, branche bien éloignée de la famille royale.

La reine est reine par son mariage. Celui-ci tend à se devenir une cérémonie particulière, un mariage d’Etat, différent du mariage chrétien ordinaire, ce que souligne la pratique du « mariage par procuration ». Union de deux individus, il est aussi acte de paix et d’union entre deux royaumes, puisque les rois de France épousent des princesses étrangères et tendent à former avec les autres souverains, une « famille des rois », dotée de ses propres règles. Mariée sous le régime de la séparation de biens, la reine jouit d’une dot et d’un douaire contractuels. Elle est donc à la fois dans et hors l’Etat, intégrée et exclue, souveraine et sujette. Le fonctionnaire du douaire royal s’apparente à celui de l’apanage.

Après le statut théorique de la reine, Mme Cosandey s’intéresse aux cérémonies publiques qui manifestent ce statut. Comme le roi, la reine peut être sacrée, selon un rite imité de celui du roi mais légèrement différent : en ce cas, elle est ointe, couronnée, prend le sceptre et la main de justice, est intronisée, et communie sous les deux espèces comme son époux. Le dernier sacre féminin est celui de Marie de Médicis en 1610. Cette cérémonie essentielle marque bien l’ambiguïté de la figure de la reine : participant à la souveraineté de son époux, elle est sacrée selon un rite qui marque sa subordination, c’est donc « un acte de neutralisation politique » (p. 137).

Les entrées royales, dont l’importance politique est bien moindre, permettent aux élites urbaines d’exprimer le rôle symbolique de la reine : « mère de la France », « mère de l’Etat », elle est la médiatrice naturelle des grâce royales, protectrice et charitable. Reflet de son époux, elle représente la grandeur monarchique sans en posséder les pouvoirs.

Les funérailles sont aussi une occasion de préciser la place de la reine dans l’ordre politique : elle ne participe pas à la continuité monarchique : au lieu du « Le roi est mort, vive le roi », le héraut crie alors : « la reine est morte, la reine est morte » (p. 213, 219). En revanche, sa dépouille reçoit des honneurs identiques à ceux du roi. Louis XIII, en rompant avec l’usage des funérailles somptueuses, nuit sans le vouloir au statut de la reine : à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, elle perd peu à peu son caractère monarchique pour n’être plus que l’épouse du roi.

Auparavant, la reine a pu jouir de véritables pouvoirs, au moment des régences. Les régence sont des périodes de doute et de faiblesse. Les conditions de leur déroulement sont assez nébuleuses : la nomination de la reine comme régente peut être le fait du roi défunt, du Conseil, des Etats généraux ou du Parlement de Paris. La régence prend théoriquement fin à la majorité du roi, mais bien souvent le gouvernement de la reine se prolonge avec le statut de « chef du Conseil ». Entre ces deux dates, l’obéissance devient conditionnelle et la fidélité douteuse : la reine régente ne suscite pas la même soumission que le roi en pleine force de l’âge. C’est pourquoi, dans l’iconographie, elle prend toujours soin d’apparaître associée à son fils. C’est le cas de Marie de Médicis, dans le grand cycle de Rubens, qui, tantôt sous les traits de Bellone, tantôt sous ceux de la Vierge, incarne la paix et la maternité. Mais l’ambitieuse Marie emprunte aussi des traits au roi : « si les lis ne filent point en France, Marie de Médicis ne se résigne pas pour autant à tenir la quenouille » (p. 360).

Mme Cosandey explique l’affadissement progressif du rôle et du statut de la reine après 1660 par les progrès mêmes de l’absolutisme, qui veut que le roi de France n’ait « point de compagnon en sa majesté royale ». Ainsi, peu à peu, c’est le roi seul qui est honoré et célébré. Le règne de Louis XIV marque de ce point de vue une rupture : Marie-Thérèse n’y joue qu’un rôle effacé ; sa mort, en 1683, passe inaperçue ; Mme de Maintenon, seconde épouse du roi, ne sera pas déclarée reine. Au sortir du grand règne, la France a vécu quarante ans sans souveraine. Désormais, la reine ne paraît plus indispensable à la stabilité de l’édifice monarchique. Les épouses royales du XVIIIe siècle se renfermeront dans la sphère privée ; quand elles chercheront à en sortir, comme Marie-Antoinette, ce sera pour perdre leur légitimité. Les attaques alors portées contre la souveraine seront autant d’atteintes à la dignité de la monarchie. Elles participeront de la désacralisation de la monarchie et du principe dynastique. L’aboutissement de cette dépolitisation est la constitution de septembre 1791, qui exclut les femmes de la régence, et le procès de Marie-Antoinette, qui, descendue du trône, « en appelle à toutes les mères ».

Dans le prolongement des travaux de l’école cérémonialiste américaine, Mme Cosandey se fonde essentiellement sur les écrits des théoriciens de la monarchie et laisse de côté les sources de la pratique. C’est la grande faiblesse de sa démonstration. Faute d’avoir étudié la maison de la reine et sa vie quotidienne, son rôle dans la vie politique, il est difficile de juger de la réalité du discours des théoriciens. De même, le paradoxe des régences demeure en partie inexpliqué : on ne comprend pas, malgré la finesse des démonstrations de l’auteur, pourquoi les souveraines l’ont emporté sur les premiers princes du sang. L’emploi exclusif des traités d’Ancien Régime entraîne Mme Cosandey dans des réflexions parfois ardues, ayant le défaut de conceptualiser à l’extrême des réalités parfois prosaïques. Les régences féminines peuvent ainsi s’expliquer par un conception cellulaire plutôt que clanique de la famille royale : ne formant qu’une seule chair avec son époux et son fils, la reine, malgré l’incapacité fondamentale de la femme, est quand même la mieux à même de défendre les intérêts de la dynastie, là où un prince du sang préférerait ceux de sa propre lignée. Le réalisme l’emporte ici sur les principes ; et la femme est dotée d’un pouvoir qui ne lui sera plus accessible avant la deuxième partie du XXe siècle : Edith Cresson aura été la première femme à gouverner la France depuis Anne d’Autriche…


Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 01/10/2001 )
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