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La peine de mort dans ses contextes | | | Pascal Bastien Une histoire de la peine de mort - Bourreaux et supplices, Paris-Londres, 1500-1800 Seuil - L'univers historique 2011 / 21 € - 137.55 ffr. / 340 pages ISBN : 978-2-02-079754-2 FORMAT : 15,3cm x 24cm Imprimer
En 1981, à la tribune de lAssemblée nationale, le Garde des Sceaux Robert Badinter défendit avec ardeur et talent labolition de la peine de mort. A grands traits, le ministre esquissa lhistoire de linterdiction du châtiment suprême, et ce depuis 1791 jusquà la fin du XXe siècle. Ensuite, avec dautant plus de brio et de mérite que le contexte était à tout le moins électrique, il plaida pour la suppression de la peine capitale. R. Badinter conclut son discours en avançant que «demain (
) la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, (
) il n'y aura plus, pour notre honte commune, d'exécutions furtives, à l'aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées». Cest sur cette histoire désormais ancienne de la peine de mort que lhistorien Pascal Bastien sest dernièrement penché.
Professeur à lUniversité du Québec à Montréal, P. Bastien vient en effet de publier Une histoire de la peine de mort, Bourreaux et supplices 1500-1800. Lauteur se concentre essentiellement sur Londres et Paris. A cet égard, il convient tout de suite dindiquer quil ne sagit en aucun cas dun livre juridique ni dune histoire purement factuelle de labolition de la peine de mort. Il ne sagit pas plus dun ouvrage semblable au Dernier jour dun condamné de Victor Hugo. Dans son introduction, P. Bastien précise demblée que «proposer un nouveau livre sur lhistoire de la peine de capitale peut, à bon droit, susciter quelque étonnement». Pourtant, cet ouvrage est novateur dans la mesure où «il nentend pas offrir un énième catalogue de supplices, un nouvel inventaire de lois et décrets touchant tantôt son application, tantôt son abolition». Lobjectif poursuivi par lauteur est tout autre, puisquil sagit «plutôt de comprendre les fondements de la peine de mort, ses modalités, les peurs quelle imposait, les espoirs quelle pouvait paradoxalement inspirer et le rejet dont elle fit progressivement lobjet».
Pour ce faire, lauteur ne se cantonne pas à une discipline, mais mêle et combine judicieusement diverses approches. Ainsi, il annonce par exemple que «cette histoire de la peine capitale à lépoque moderne cherche à sinscrire au carrefour dune histoire sociale du religieux, dune histoire culturelle du politique et dune histoire religieuse du droit». Au fil des pages, on apprend quà Londres il était possible danticiper son exécution en vendant à lavance son corps afin que les chirurgiens puissent se livrer à des exercices de dissection. Plus insolite encore, il était tout à fait concevable de ne vendre que certaines parties de son corps. En effet, les mains des pendus étaient censées guérir certaines maladies, rien de moins ! De ce côté-ci de la Manche, il en allait tout autrement : non seulement le roi dépouillait le supplicié de son corps, mais en outre il saccaparait la plupart de ses biens. En Grande-Bretagne, les condamnés à mort avaient par ailleurs le droit de sadresser à la foule via des discours enflammés, tandis quà Paris les condamnés disposaient simplement de la faculté de réciter des prières.
Naturellement, lhistoire de la peine capitale nest pas linéaire. Des évolutions se sont progressivement dégagées. A partir du XVIIe siècle, les exécutions sont devenues de plus en plus théâtrales, dans le but de dissuader déventuelles déviances et aussi en vue dinstiller la haine du crime dans le cur des hommes de lépoque. Toutefois, note lucidement P. Bastien, leffet produit sest finalement dissocié de leffet recherché, puisque sest développé un puissant et funeste goût du sang au sein du public de ces macabres spectacles. Dautre part, lexécution de la peine de mort en elle-même était très inégalitaire : pour les gens de basse extraction, la mort était longue et donc très douloureuse, alors que pour les aristocrates laffaire était pour ainsi dire réglée plus rapidement. Autre évolution de premier ordre : lémergence de la guillotine, laquelle a permis de mécaniser la mort et dépargner autant que faire se pouvait la souffrance aux malheureux dont les têtes allaient «éternuer dans le sac», comme on disait pendant la Révolution française.
On peut retenir de cette étude comparatiste quune différence notable entre la Grande-Bretagne et la France réside dans la façon dont était rendue la justice. Elle découle pour partie, explique lauteur, dune différence de culture juridique, que lauteur définit comme «une tradition, une identité, une manière dêtre plutôt quun contenu, une conscience du droit qui se révèle tous les jours, souvent à linsu des acteurs eux-mêmes, mais qui se saisit néanmoins dans des usages, des expériences et des discours». Outre-Manche, la common law parvenait à encadrer lexécutif, ou du moins à lempêcher dimposer trop unilatéralement sa volonté aux juges. Pour rendre leurs jugements, ceux-ci devaient notamment se fonder sur les précédents dégagés par leurs prédécesseurs «depuis des temps immémoriaux». Cest donc la règle de lantériorité qui prévalait. Ce qui ne fit pas obstacle à la démultiplication des supplices, bien plus nombreux quà Paris.
Jean-Paul Fourmont ( Mis en ligne le 26/04/2011 ) Imprimer | | |