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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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''Pour que rien ne change, il faut que tout change'' | | | Alexandre Dupilet La Régence absolue - Philippe d'Orléans et la polysynodie (1715-1718) Champ Vallon - Epoques 2011 / 28 € - 183.4 ffr. / 436 pages ISBN : 978-2-87673-547-7 FORMAT : 15,6cm x 24cm
Préface de Joël Cornette
Alexandre Dupilet collabore à Parutions.com
L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye, agrégé dhistoire, professeur en classes préparatoires littéraires, achève une thèse consacrée au fils de Louis XIV sous la direction du professeur Joël Cornette à lUniversité Paris VIII. Imprimer
Le fameux mot de Lampedusa dans Le Guépard, dont les héros sont confrontés aux changements politiques et sociaux de lItalie du XIXe siècle, pourrait tout aussi bien convenir aux quelques mois qui suivirent la disparition de Louis XIV. Tout du moins cest ce que lon comprend de louvrage très important quAlexandre Dupilet vient de publier aux éditions Champ Vallon, maison en pointe de la recherche historique, notamment sur les questions dhistoire moderne.
Le titre même de louvrage, La Régence absolue, resserre en une formule percutante le projet politique de Philippe II dOrléans, régent à partir du 1er septembre 1715, maître de lÉtat au nom du jeune Louis XV, âgé alors de cinq ans seulement. En reprenant lintuition ancienne dEmmanuel Le Roy Ladurie, qui voyait dans la régence une transition conservatrice, Alexandre Dupillet sintéresse particulièrement à lexpérience institutionnelle inédite dans la monarchie française, la polysynodie, le gouvernement par conseils, tenté entre 1715 et 1718. Pour lui, elle fut un miroir aux alouettes, une construction institutionnelle digne des machines improbables du sculpteur Tinguely afin de conserver lessentiel de lhéritage Louis-quatorzien : la liberté totale du régent à décider.
Ce nest pas à la lente agonie du Grand Roi à laquelle lauteur nous convie dabord, mais à ses coulisses où les conciliabules, les tractations, les faux-semblants politiques préparèrent larrivée au pouvoir de Philippe II dOrléans en dépit de sa réputation sulfureuse et du dégoût quil inspirait à la famille royale. Son accession à la régence nallait peut-être pas autant de soi quon a bien voulu le dire. Louis XIV laissa planer un doute sur la teneur de son testament, Philippe V nétait pas prêt à renoncer à ses droits sur la Couronne, le duc du Maine avait été nommé surintendant de léducation de Louis XV. Les peuples nétaient pas non plus si bien disposés à légard de celui quon suspectait, à tort, davoir empoisonné le duc et la duchesse de Bourgogne pour se rapprocher du trône et, surtout, il avait contre lui lhistoire dramatique des régences passées.
À cette occasion, Alexandre Dupilet chasse, en quelques pages lumineuses, les stéréotypes habituels que nous avons du régent, cette superficialité un peu brouillonne que le film de Tavernier a voulu imposer. Cest surtout un homme pragmatique qui, en cet été 1715, tente de rallier à sa cause laristocratie, en lui promettant de lassocier au pouvoir par le truchement des conseils, et les parlementaires en les libérant de lostracisme que Louis XIV avait décrété après leur implication dans la Fronde.
Il est vrai que la polysynodie nétait pas un projet sorti de nulle part. Cest une des grandes découvertes de lauteur : un groupe dhommes dÉtat cherchait, depuis quelques années déjà, une équation politique acceptable pour gérer lhéritage du Roi-Soleil marqué par lépuisement financier et économique du royaume attribué, en partie, à un gouvernement solitaire du roi et de ses ministres. Mais Philippe dOrléans se saisit de ce projet plus en arriviste quen théoricien politique.
Il est des historiens qui affirment et dautres qui démontrent. Alexandre Dupilet est de cette seconde catégorie. Aussi, grâce à des dépouillements importants dans les séries darchives qui conservent les papiers des conseils, lauteur retrace très minutieusement la procédure administrative mise en uvre. Mais surprise ! Ce nest pas tant les affaires traitées par les conseils qui apparaissent importantes que celles qui leur échappent. Très vite en effet, le régent court-circuita les conseils et traita les questions sensibles en petit comité, à limage de Louis XIV, qui recevait en début de soirée ses ministres et secrétaires dÉtat en tête-à-tête chez la marquise de Maintenon. Dailleurs, en 1718, dès que le régent eut le sentiment que son autorité était devenue plus assurée, il ne souffrit pas longtemps lopposition de certains membres des conseils aux orientations nouvelles quil voulait donner à sa politique étrangère et financière. Sans rencontrer de véritables oppositions, il mit fin à la polysynodie en septembre 1718 et revint aux méthodes de son oncle.
La culture politique dun pays ne se change pas en trois ans et les aspirations de lélite à un pouvoir concentré ne seffacent pas si vite. De cette fin brutale, la polysynodie tira une réputation de gadget politique ce quelle ne fut pas non plus, à suivre Alexandre Dupilet. Elle témoigne aussi de la maturité administrative de lÉtat royal.
Ce livre nappartient pas à ces ouvrages qui pour être trop conceptuels finissent par ne plus rien nous apprendre. Il assume son caractère historique et sinscrit dans un champ en plein renouvellement : une histoire politique de ladministration. Rien de plus éclairant donc, pour nous autres contemporains obnubilés par la réforme, que cette démonstration. Il semble en effet, après la lecture de cet ouvrage qui doit faire date, que la meilleure réforme qui soit est celle qui change tout en apparence, mais rien au fond.
Matthieu Lahaye ( Mis en ligne le 05/07/2011 ) Imprimer | | |
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