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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Moderne  
 

Portugais et Espagnols à la conquête de la Chine
Serge Gruzinski   L'Aigle et le dragon - Démesure européenne et mondialisation au XVIe siècle
Fayard 2012 /  24.30 € - 159.17 ffr. / 435 pages
ISBN : 978-2-213-65608-3
FORMAT : 13,5cm x 21,5cm

Les auteurs du compte rendu :

Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié, entre autres titres, Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.).

Jean-Pierre Sarmant est inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale.

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En 1519 commence l’aventure du Castillan Hernan Cortès, qui conduira à la mort de l’empereur aztèque Moctezuma et à la conquête du Mexique. La même année, une ambassade conduite par le Portugais Tomé Pirés débarque à Canton puis, après une rencontre informelle à Nankin avec l’empereur de Chine Zhengde, attend longuement à Pékin d’être reçue officiellement. Le premier événement, tragédie abondamment mise en scène par Cortès lui-même, a eu dès l’origine un retentissement considérable et continue de fasciner. Le second, passé pratiquement inaperçu, reste très peu connu.

Rien d’étonnant, se dira-t-on. Le succès de Cortes a engendré la destruction d’un empire et de sa civilisation tout en révélant une quatrième partie du Monde inconnue de la Bible et des Anciens (la connaissance des Antilles parcourues par Colomb, simples îles océaniques peuplées de sauvages n’avait pas encore bouleversé la vision du Monde). Le fiasco de Pires est en comparaison un non-évènement : son ambassade, qui est en fait une opération d’espionnage et une préparation à la conquête, est interrompue par la mort de Zhengde. Les membres de l’ambassade sont ensuite emprisonnés, puis presque tous massacrés.

C’est pourtant la mise en parallèle point par point des deux évènements : Cortes / Pirés, Moctezuma / Zhengde, Cuba / Malacca (bases de départ des expéditions), qui constitue la trame d’une grosse moitié du livre de Serge Gruzinski. Ce schéma paraît de prime abord artificiel, tant les raisons de la défaite de l’aigle mexicain et de la résistance du dragon chinois semblent évidentes et bien connues.

En fait, l’ouvrage s’avère passionnant par sa remise en cause de nombreuses idées reçues. Par exemple, la conquête du Mexique n’était pas l’exécution d’un plan impérial prémédité et le succès de Cortès n’était en rien acquis, comme le montre la description de plusieurs échecs cuisants qui l’ont précédé ; en revanche, la conquête de la Chine par les Portugais a été bel et bien programmée et a connu un début d’exécution. De même, il est abusif d’opposer une conquête espagnole brutale à une expansion portugaise principalement commerciale, et l’auteur donne de nombreux exemples de violences exercées par les Portugais.

Le parallèle est conforté par un point commun à la Chine et au Mexique : leurs histoires millénaires se sont déroulées à l’écart du monde euro-méditerranéen, à l’abri du monothéisme et de l’héritage de la Grèce et de Rome. Il est éclairé par l’analyse des représentations mentales des uns et des autres. Par exemple, confiée à des traducteurs chinois, la lettre hautaine du roi du Portugal à Zhengde devient une demande d’audience présentée par un tributaire, tant les Chinois sont incapables d’imaginer un autre type de relation entre l’Empire du Milieu et un royaume extérieur. Cherchant à rectifier cette traduction, les ambassadeurs sont considérés comme des menteurs et châtiés en conséquence. Pour ce qui est de l’incompréhension de ce que sont les Ibériques, l’aigle et le dragon se valent presque : pour les Mexicains, les Castillans sont des «aliens», pour les Chinois, il s’agit d’une des nombreuses peuplades que l’on a l’habitude de voir débarquer à Canton en provenance de l’Asie du sud.

C’est dans la seconde partie de l’ouvrage que le titre trouve son entière justification. Devant le rêve espagnol de rejoindre l’Inde en naviguant vers le couchant, la présence insoupçonnée du continent américain sur un globe dont les dimensions étaient sous-estimées est apparue comme un obstacle. Avec la découverte de la «Mer du sud», notre Océan Pacifique, les Espagnols reprennent leur course vers l’Ouest. Le Monde est pris en tenaille par l’Espagne et le Portugal, les ambitions deviennent démesurées. Un sujet brûlant est la position du méridien qui doit partager le Monde entre les deux royaumes dans le lointain Orient, à la manière de celui qui joue, conformément au traité de Tordesillas de 1494, ce rôle au milieu de l’Atlantique (le Brésil n’était pas encore découvert à cette date). A une époque où les longitudes ne se mesurent que de façon très imprécise, l’affrontement est inévitable. Il se produit dès 1528 dans l’est de l’Indonésie.

Par la suite, c’est de Mexico, qui se révèle davantage que Madrid le cœur de l’Empire Espagnol, que partent des initiatives qui conduisent à l’occupation des Philippines à partir de 1560. Reliées au Mexique par le galion qui joint chaque année Manille à Acapulco, les Philippines deviennent à leur tour un foyer d’expansion, où se prépare très sérieusement un nouveau plan de conquête de la Chine. La réunion à partir de 1580 des couronnes du Portugal et de l’Espagne sur la tête de Philippe II semble donner en un premier temps de grandes chances à ce projet. La durée démesurée (deux ans) des échanges entre Manille et Madrid retarde toutefois la prise de décision à tel point que l’échec de l’Invincible Armada met en 1588 un terme définitif aux projets de domination universelle. La guerre de Chine n’aura pas lieu ou, tout au moins sera-t-elle différée de près de trois siècles, jusqu’à la Guerre de l’Opium.

Dans la lignée de Pierre Chaunu, Serge Gruzinski nous conduit à penser l’histoire du Monde dans sa globalité. Ainsi, l’histoire de la colonisation du Nouveau Monde doit avoir la Chine en toile de fond, de même que celle de la Chine moderne a l’Amérique en vis-à-vis.


Jean-Pierre & Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 17/04/2012 )
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