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Comment on écrit l’histoire | | | Yves Combeau Louis XV - L'inconnu bien-aimé Belin - Portraits 2012 / 20 € - 131 ffr. / 208 pages ISBN : 978-2-7011-5904-1 FORMAT : 13,5 cm × 21,5 cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé et docteur en histoire, Alexandre Dupilet est professeur dans le secondaire. Imprimer
Un inconnu, Louis XV ? Cette affirmation, sous-titre de louvrage quYves Combeau consacre à celui qui fut roi de France de 1715 à 1774, ne manque pas de courage et dambition. Car après le monument édifié par Michel Antoine, on pouvait penser quil serait désormais difficile de publier une biographie digne de ce nom sur le bien-aimé. Avant Yves Combeau, daucuns sy étaient déjà essayés, avec plus ou moins de bonheur. En adoptant une perspective tout à fait différente de celle de Michel Antoine, celle du portrait et de lapproche thématique, Bernard Hours avait signé un essai passionnant. Mais la plupart des autres tentatives furent vaines, ennuyeuses et, pour tout dire, sans intérêt. Aussi abordait-on avec perplexité le livre dYves Combeau. Disons-le demblée, il constitue une excellente surprise. Il est vrai que lauteur réunit deux qualités essentielles à la réussite de cet exercice difficile quest la biographie.
En premier lieu, lart de la synthèse. Tout en étant assez ramassé, le récit nélude aucun aspect du règne de Louis XV et ne saurait être comparé aux ouvrages purement factuels que les éditeurs proposent à une clientèle détudiants pressés. Une large part est laissée aux analyses quYves Combeau développe avec une grande sûreté à partir danecdotes, qui, au premier abord, pouvaient paraître insignifiantes. A cela sajoute une parfaite connaissance des circonvolutions de la politique étrangère et de ladministration royale du siècle des Lumières. Il est vrai quon en n'attendait pas moins de celui qui, dans un ouvrage précédent, avait apporté un éclairage brillant et inédit sur le ministère de la Guerre au temps du comte dArgenson. Yves Combeau a bien tort décrire en introduction de son chapitre (''Le grand jeu'') consacré à la valse des ministres, à la politique religieuse et aux conflits avec les Parlements, quil a conscience «en entamant ce chapitre, dentraîner le lecteur dans un domaine quelque peu austère». Il ny est jamais ennuyeux et excelle à mettre en perspective les soubresauts de la politique intérieure pour mieux éclairer la personnalité de Louis XV.
Autre atout, quil est rare de trouver de nos jours dans les ouvrages historiques : la qualité décriture, le style. Père dominicain, Yves Combeau est aussi auteur de romans policiers, ce qui est peu banal. On ne sait si cest cet exercice qui lui a donné cette apparente facilité décriture, cette faculté à brosser les principaux personnages de ce règne en quelques mots et quelques formules bien senties ou à décrire magnifiquement des paysages que lon croyait parfaitement connaître et que sa plume nous fait redécouvrir. Quon se reporte à son introduction, modèle délégance et déloquence sans emphase, qui donnera des complexes à plus dun historien. Un style classique, certes, grand siècle, pourrait-on dire, mais qui nexclut pas les audaces, telle cette métaphore comparant les manuvres politiciennes à une partie de tennis ou de jeu paume comme lindique lauteur - avec «des attaquants et des défenseurs, des balles manquées, des revers un peu mous et des services brutaux». De fait cette biographie, qui naurait pu être quun fastidieux travail de synthèse, est aussi un grand plaisir de lecture.
Au fil des pages, des anecdotes et des analyses, par petites touches, se dessine le portrait dun roi à la personnalité complexe, difficile à cerner, très différent de limage de souverain galant un peu effacé que lon retient de lui habituellement. Comme lécrit lauteur, il existait trois rois : «le roi quimaginaient ses sujets, le roi patient, mais juste, que Louis XV essayait dêtre par le conseil de Fleury et le roi réel naturellement sévère». Cest ce trait de caractère, souvent méconnu, que cet ouvrage a notamment le mérite de mettre en lumière. Et Yves Combeau de nous prouver avec brio que, sans apporter beaucoup déléments nouveaux, on peut signer une biographie passionnante qui fera les délices de tout amateur du Siècle des Lumières. Tout dépend bien de «comment on écrit lhistoire».
Alexandre Dupilet ( Mis en ligne le 22/05/2012 ) Imprimer
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