| |
Le Vau artiste et affairiste | | | Alexandre Cojannot Louis Le Vau et les nouvelles ambitions de l’architecture française - 1612-1654 Editions Picard 2012 / 67 € - 438.85 ffr. / 352 pages ISBN : 978-2708409361 FORMAT : 23,0 cm × 28,8 cm
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié, entre autres titres, Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.). Imprimer
Lhôtel Lambert, le château de Vaux-le-Vicomte, les pavillons de Vincennes, le palais des Tuileries rénové, les ailes sud et nord de la cour carrée du Louvre, le Collège des Quatre-Nations, le premier Versailles de Louis XIV : tous ces édifices majeurs de lart français ont un même auteur, larchitecte Louis Le Vau, dont luvre prolifique maisons, hôtels particuliers, châteaux, palais royaux, églises sétale sur plus de trois décennies du XVIIe siècle, de 1635 à 1670. En dépit ou en cause de labondance et de limportance de cette production, Le Vau navait pas jusquici trouvé son historien. Alexandre Cojannot, en sattelant à la tâche, a trouvé le labeur si considérable quil a résolu de partager la carrière de son héros en deux parties. La première, qui va de la naissance de Le Vau jusquau moment où il adopta lappellation de premier architecte du roi, fait lobjet du présent volume.
Lenquête sinscrit dans la lignée où figurent les monographies de François Mansart (Jean-Pierre Babelon et Claude Mignot, 1998), Jacques Lemercier (Alexandre Gady, 2005) et Jules Hardouin-Mansart (Bertrand Jestaz, 2008, Alexandre Gady, 2010) et où sont attendues celles de Pierre Le Muet et de Libéral Bruand, réalisées mais non encore publiées. Les historiens de ces architectes ont adopté tantôt le parti dun essai unique, où chaque édifice est traité à la date de sa construction, tantôt une structure binaire, séparant des contributions synthétiques, dune part, dun catalogue des uvres, de lautre. Alexandre Cojannot a opté pour la première formule, et ce choix correspond à une analyse extrêmement fine et érudite de la documentation, réunissant informations issues des archives écrites ou figurées, examen des sources imprimées et enquête proprement archéologique. Lauteur a évité ce quil y aurait pu avoir de trop descriptif dans sa démarche en ponctuant son développement de grandes pauses qui lui permettent de prendre de la hauteur et de sélever au-dessus de létude de tel ou tel chantier pour replacer luvre de Le Vau non seulement dans lhistoire de larchitecture, mais aussi dans lhistoire sociale, culturelle et intellectuelle du XVIIe siècle.
Dans cette première partie de sa carrière, le nom de Le Vau est étroitement lié à lîle Saint-Louis, quartier neuf où sélèvent maisons et hôtels de la bourgeoisie et de la noblesse récente issue de la magistrature ou de la finance. Cest là que larchitecte sort de lanonymat, là quil trouve ses protecteurs, là quil élabore sa manière propre et sa personnalité artistique. Cest là quil fait fortune, par la spéculation immobilière, mais le secret de cette réussite nest pas immédiatement explicable. Fils de maçon, Le Vau na bénéficié au départ ni dune formation théorique poussée, ni dun réseau de relations étendu, ni dimportantes mises de fonds. Suivant le procédé bien connu de la «cavalerie», il a emprunté pour acheter, revendre et emprunter de nouveau. Comment le processus a-t-il pu samorcer et se poursuivre, sans que lédifice se défasse puis sécroule ?
La réponse ressort nettement de ce premier volume et tient en un mot : le talent. Le Vau nest pas quun affairiste, il est aussi un artiste, qui a acquis, par la fréquentation des livres et des estampes, les modèles qui lui faisaient initialement défaut. Lecteur des traités de Palladio et de Scamozzi, il a eu le génie dacclimater sur les bords de la Seine les ordonnances des maîtres de Vicence. Ainsi les ordres colossaux, les portes de temple antique et les chambres à litalienne vinrent-elles donner aux maisons et aux hôtels de Paris lair des palais et des villas dItalie. Synthèse habile autant quélégante. On ne pouvait mieux faire au moment où une nouvelle noblesse cherchait à montrer sa réussite et à sincorporer à lancienne aristocratie. À lhôtel Lambert, la façade du pavillon de lescalier sur cour rappelle celle de la villa Pisani à Montagnana, par Palladio, la façade sur jardin celle des palais Valmarana et Angarano, du même, à Vicence. À lhôtel Tambonneau, la façade sur jardin démarque celle du palais Trissino, par Scamozzi, toujours à Vicence. Alexandre Cojannot fait apparaître encore beaucoup dautres sources de linspiration de Le Vau, dans les extérieurs comme dans les intérieurs. Car Le Vau est autant décorateur quarchitecte, et sait sassocier avec les peintres et les sculpteurs pour exalter le décor des appartements dapparat de ses commanditaires et protecteurs.
Cest dailleurs par des travaux dans les intérieurs, au Louvre et à Fontainebleau, que souvre la seconde carrière de Louis Le Vau, celle qui le fait entrer au service du roi, alors que sachèvent les orages de la Fronde. En 1654, Jacques Lemercier meurt et Louis Le Vau succède au défunt comme premier architecte du jeune Louis XIV. Il lui reste seize années à vivre, pendant lesquelles il va construire la majeure partie des bâtiments qui font aujourdhui sa réputation. Leur étude fera lobjet dun second volume, dont la parution est annoncée pour la fin de 2013. On espère que ce second volet de lenquête sera aussi passionnant que celui-ci, qui devrait devenir une référence pour les historiens de larchitecture française comme pour ceux de la société parisienne.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 22/01/2013 ) Imprimer | | |